Moquons-nous de Zola avec Renoir et Offenbach
Hortense Schneider, soprano
Un jour que dans sa loge Zola et mon oncle Edmond discutaient du « thème en peinture », Renoir que les théories ennuyaient se tourna vers Hortense Schneider, qui de son côté dissimulait difficilement ses bâillements. « Tout cela, c'est très joli, dit-il, mais parlons de choses sérieuses. Votre poitrine se tient-elle bien? » « Quelle question! » répondit la diva en riant. Et elle ouvrit son corsage, donnant ainsi une preuve éclatante de la fermeté de ses appas. Mon père, mon frère et Offenbach éclatèrent de rire. Zola devint « rouge comme une pivoine », balbutia quelque chose d'incompréhensible et s'enfuit à toutes jambes. « Il était bien de sa province. » Renoir l'admirait mais lui pardonnait difficilement son incompréhension à l'égard de Cézanne. « Et puis quelle drôle d'idée de vouloir absolument que les ouvriers disent merde! »
La Rêverie (Jeanne Samary), Auguste Renoir, 1877
Parlons de Jeanne Samary. J'ai devant les yeux une reproduction de son grand portrait. Quel regret de ne pas la connaître! Elle est tout le théâtre; on sent chez elle ce mélange de noble autorité et d'humilité devant le public. On la devine aussi faisant son marché le matin, rue Lepic, son cabas rempli de poireaux. Elle devait tâter discrètement les melons pour s'assurer de leur maturité et évaluer d'un œil critique la fraîcheur des merlans. Le soir, dans sa belle robe blanche, sous son maquillage de scène, elle était une reine, une reine gentiment potelée, dont le corps incitait à la caresse. Avant tout elle était un Renoir. Elle appartient à cette immense famille qui va de ma mère à Nini, en passant par les petites Bérard, Gabrielle, Suzanne Valadon, et nous autres les enfants Renoir. Nous nous ressemblons tous. Je regarde le portrait de Jeanne Samary comme je regarderais le portrait d'une sœur morte.
Jean Renoir, Pierre-Auguste Renoir, mon père, 1962, Gallimard, « Folio »