Howard Zinn - "La guerre, c'est la paix"
Le remarquable Howard Zinn (1922- ), militant de tous les engagements pacifistes depuis un demi-siècle, historien radical et irréductible troublemaker (à la manière d'un Chomsky sans amphètes, si c'est possible), a signé plusieurs livres indispensables. Karl Marx, le retour (2002), par exemple, ne fait ricaner que les lecteurs de Michel Onfray, qui ne perdent rien pour attendre ("Un spectre hante l'Europe", etc.). Sa pièce En suivant Emma (2007) est un bref portrait de la grande Emma Goldman, anarchiste d'origine lituanienne pour qui le féminisme n'était pas une affaire de garde alternée et de permanence vaisselle. Etzouille. Mais son livre le plus connu est la monumentale Histoire populaire des Etats-Unis. De 1492 à nos jours que doit se taper, pour y comprendre quelque chose, quiconque s'intéresse au pays des agitateurs théoriques du groupe Retort, aka l'Empire. Zinn commente ici la réception par Obama d'un prix Nobel de la paix. (L'article est paru dans le Guardian du 10 octobre, et a été mis en ligne sur Znet. Il est traduit par les bons soins d'Agone, éditeur français de l'auteur.)
« Je suis resté pétrifié en apprenant que Barack Obama s'était vu décerner le prix Nobel de la Paix. C'est un tel choc d'imaginer qu'un président qui mène actuellement deux guerres puisse recevoir un prix de la paix !
« Et puis je me suis souvenu que Woodrow Wilson, Theodore Roosevelt et Henry Kissinger avaient tous reçu le prix Nobel de la Paix. Le comité Nobel est réputé pour ses jugements superficiels, sa rhétorique creuse, ses grands gestes vides et pour ignorer les violations les plus massacrantes de la paix du monde.
« C'est vrai, Wilson était réputé pour avoir créé la Société des Nations – cet organe complètement inefficace qui ne fit rien pour prévenir la guerre. Mais il avait bombardé les côtes mexicaines, envoyé ses troupes occuper Haïti et la République dominicaine et entraîné les États-Unis dans la Première Guerre mondiale, certainement dans le top de la liste des guerres les plus stupides et les plus sanglantes.
« C'est vrai, Theodore Roosevelt fut le parrain d'une paix entre le Japon et la Russie. Mais il aimait la guerre et participa à la conquête de Cuba par les États-Unis, sous prétexte de la libérer des Espagnols tout en renforçant l'étreinte des États-Unis sur cette petite île. Et, en tant que chef de l'exécutif, il présida à la guerre sanglante qui assujettit les Philippines, félicitant même un général qui venait d'y massacrer 600 villageois sans défense. Le Comité ne décerna pas le prix Nobel à Mark Twain qui dénonça Roosevelt et critiqua la guerre, ni à William James, leader de la ligue anti-impérialiste.
« C'est vrai aussi que le Comité trouva judicieux de remettre le prix Nobel de la Paix à Henry Kissinger car celui-ci avait signé le traité de paix qui mit fin à la guerre du Vietnam dont il avait été l'un des architectes. Ce Kissinger, qui accompagna de façon zélée Nixon dans son extension de la guerre, avec le bombardement de villages de paysans au Vietnam, au Laos et au Cambodge. Ce Kissinger, qui correspond à tous les critères du criminel de guerre, ce Kissinger a le prix Nobel de la Paix !
« Si les mots ont un sens, on ne donne pas un prix de la paix sur la base de promesses – et Obama fait beaucoup de promesses pleines d'éloquence – mais pour des actes réellement accomplis pour mettre fin à la guerre. Et Obama poursuit des engagements militaires inhumains en Irak, en Afghanistan et au Pakistan.
« Le Comité Nobel doit retirer son prix et allouer son important montant à une organisation internationale pour la paix qui ne soit pas inspirée par la starmania et la rhétorique. Et aussi qui comprend quelque chose à l'histoire. »
Howard Zinn, octobre 2009
Mark Twain (1835-1910)