Lectures pour tous : John Keats
« Chaque amant admire sa maîtresse, si difforme qu’elle soit de sa personne, malgracieuse, ridée, pustuleuse, pâle, rouge, jaune, brune, terreuse de visage, qu’elle ait la face cabossée d’un plateau de jongleur, ou maigre et décharnée d’une fillette, qu’elle ait le front ennuagé, qu’elle soit torse, desséchée, chauve, qu’elle ait les yeux en billes de loto, troubles ou effarés, qu’elle ressemble à un chat écrasé, que son port de tête soit immobile, de guingois, lourd, hébété, avec des yeux caves, noirs ou jaunes, ou qui louchent, une bouche de moineau, un nez crochu à la Persane, qu’elle ait un nez acéré de renard, un nez rouge, un nez épaté à la chinoise, un gros nez, nare sino patuloque, un nez comme un promontoire, qu’elle ait des canines de goinfre, des dents pourries, noires, inégales, des dents marron, des sourcils broussailleux, une barbe de sorcière, que son haleine empuantisse toute la chambre, qu’elle ait la goutte au nez hiver comme été, avec une poche bavaroise sous le menton, un menton pointu, des oreilles décollées, avec un long cou de grue, qui se tient de guingois aussi, pendulis mammis, ses seins comme deux pichets doubles, ou bien à l’autre extrême pas de seins du tout, des doigts sanguinolents, qu’elle ait des ongles dépareillés, longs, répugnants, des mains ou des poignets scabieux, une peau tannée, une carcasse pourrie, un dos cassé, qu’elle soit bossue, boiteuse, avec des pieds plats, aussi fluette en son milieu qu’une vache dans le désert, qu’elle soit podagre, que ses chevilles retombent sur ses chaussures, qu’elle pue des pieds, qu’elle nourrisse des poux, que ce soit une pure enfant des fées, un vrai monstre, une horreur d’imperfection, qu’elle ait une voix dure, des gestes grossiers, une allure vile, que ce soit une ample virago, ou une affreuse péronnelle, une limace, un gros ver de terre, une truie, une grande jument efflanquée, un Squelette, une Chapardeuse (si que patent meliora puta), et si à ton jugement elle ressemble à un cauchemar dans une Lanterne, dont tu ne pourrais t’enticher pour rien au monde, mais que tu hais, que tu exècres, et à qui tu cracherais volontiers au visage, à moins que tu ne te mouches dans son giron, remedium amoris pour un autre homme, une vieille peau, une souillon, une mégère, une fieffée salope, une gueuse puante, crasseuse, bestiale, malhonnête sans doute, obscène, basse, mesquine, grossière, niaise, mal apprise – geignarde, une fille d’Irus, une sœur de Thersite...; s’il l'aime une fois, il l’admire pour tout cela, il ne prête attention à aucune de ces erreurs ou imperfections du corps ou de l'esprit... »
En voilà une dose pour toi – superbe !! »
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Extrait d'une lettre de John Keats à George et Georgiana Keats, des 17, 18, 20, 21, 24, 25 et 27 septembre 1819,
in Lettres de John Keats, éd. Belin, traduit par Robert Davreu, 1993, ISBN 978-2-7011-1148-3.
Didier, qui m’envoie ce formidable document, nous informe que Georges est l’aîné des deux frères cadets de John Keats. Georgiana est la femme de Georges. Celui-ci a émigré aux États-Unis en1818 et vit à Louisville, Kentucky. L’écriture du poulet aura demandé à John sept jours de travail : elle occupe trente-cinq pages manuscrites.