Jean Rollin, cinéaste (par Jean-François Rauger)
[JPB me signale la parution, dans Le Monde, de la nécro de Jean Rollin par notre compère Jean-François Rauger. Comme tout le monde n'a pas l'insigne bonheur d'être abonné au journal des Trois-Magnats, je lui pique son texte. Pourquoi ? Parce que l'article est un véritable hommage, parce qu'on aime sa sobriété, sa précision et son érudition, autant que l'absence remarquable de superlatifs inutiles. Vive Jean Rollin ! Vive le cinéma de Jean Rollin !]
« C'était le père du film de vampires à la française, un réalisateur un peu excentré sinon excentrique, fidèle toute sa vie à une certaine vision du cinéma, travaillant dans des conditions de production toujours modestes, voire dérisoires. Le cinéaste et écrivain Jean Rollin est mort à Paris, le 15 décembre, des suites d'une longue maladie.
Jean-Michel Rollin Le Gentil est né le 3 novembre 1938 à Neuilly-sur-Seine. Il apprend les ficelles du métier de réalisateur durant son service militaire au service cinématographique des armées puis se lance dans la réalisation de films expérimentaux. Il collaborera d'ailleurs, en 1963, avec Marguerite Duras, à un projet resté inachevé. Fasciné par le cinéma et la littérature fantastique, les romans populaires du début du XXe siècle, par toute une tradition, donc, qui le rattache au goût des surréalistes, il réalise en 1968 Le Viol du vampire, composé de deux moyens-métrages vaguement raccordés entre eux. Commandé à l'origine par un petit distributeur indépendant, le film, qui sortira en salles en plein Mai 68, se situe au croisement de catégories diverses: l'épouvante, l'underground et l'érotisme cinématographiques. Les amateurs de films de vampires traditionnels sont pour la plupart décontenancés. Les spectateurs sont furieux, les critiques assassins.
Il se fait dès lors le spécialiste d'un cinéma gothique, psychédélique et érotique. Son style et son univers sont uniques. De jeunes femmes dénudées déambulent sur des plages désertes, des cimetières nocturnes, des couloirs sombres, découvrant le plaisir et la liberté dans les bras de vampires sentencieux. Exaltations libertaires et romantiques, des films comme La Vampire nue (1969), Le Frisson des vampires (1970), Requiem pour un vampire (1971), La Rose de fer (1973) ou Lèvres de sang (1975) glorifient le plaisir et la liberté dans la transgression.
Travaillant essentiellement pour de petits producteurs spécialistes de la série B, il tourne aussi - sans doute pour faire bouillir la marmite car ses films personnels ne rencontrent guère le succès commercial - des films pornographiques et des comédies navrantes.
Son oeuvre divise les amateurs. Il y a ceux qui regrettent la pauvreté des moyens, la direction d'acteurs nonchalante, et ceux qui sont sensibles à une forme de poésie élaborée, une manière incomparable de dépasser les conventions du cinéma fantastique et la beauté des interprètes féminines.
Ces dernières années, il avait repris une production personnelle un peu plus soutenue avec des films comme Les Deux Orphelines vampires en 1997, La Fiancée de Dracula en 2002, La Nuit des Horloges en 2008 et Le Masque de la méduse en 2010, ce dernier titre tourné dans les décors du théâtre du Grand-Guignol, affirmant avec une grande netteté ses obsessions de toujours. Jean Rollin a par ailleurs écrit des romans et un livre de souvenirs, Moteur, coupez ! Mémoires d'un cinéaste singulier. »
Jean-François Rauger, in Le Monde, 24/12/2010