Lectures pour tous : David Vann
À travers les aulnes jusqu’au tapis de végétation en bordure du lac, l’herbe était épaisse et il apercevait désormais l’écume blanche des vagues, plus claire que dans son imagination, il sentait le souffle des embruns contre ses joues.
Nap nihtscua, ombre-nuit obscurcie, northan sniwde, neige du du nord. C’était ce que Gary aimait. Hrim hrusan bond, monde engoncé du gel, haegl feol on eorthan, grêle tombée sur terre, corna caldast, grains des plus froids. Son passage préféré du poème, parce qu’il apportait un revirement inattendu, une surprise. Après toutes les souffrances endurées en mer, au cœur des tempêtes, le marin ne souhaite qu’une seule chose, reprendre le large. Ses pensées ne vont ni à la harpe, ni à la bague offerte, ni aux plaisirs charnels d’une femme, ni à l’espoir du monde, à rien d’autre qu’au déferlement des vagues.
Un désir vieux de mille ans, l’attente d’atol ytha gewealc, le terrible déferlement des vagues et Gary le comprenait enfin. Il ne l’avait pas compris à l’université parce qu’il était trop jeune alors, trop conventionnel, il pensait que le poème traitait de religion. Il n’avait pas encore imaginé sa vie ratée, n’avait pas encore compris ce désir intense qui s’apparentait à un anéantissement total. La volonté de voir ce que le monde était capable de faire, de voir ce que l’on était capable d’endurer, de voir – enfin – de quoi l’on était fait à l’instant même où l’on était déchiqueté. Une sorte de félicité dans l’anéantissement, à l’idée d’être effacé. Mais toujours, il désire, celui qui s’apprête à prendre la mer, et ce désir est celui de faire face au pire, l’espoir délicat d’une vague plus haute.
David Vann, Désolations [Caribou Island],
traduit (excellemment) de l’américain par Laura Derajinski,
Gallmeister, « Nature Writing », 2011
David Vann (1966- )
Merci à Glaz