Un peintre actionniste de la tarte à la crème
Éric vit sur la droite trois photographes en retrait, et un homme à genoux qui filmait en vidéo. [...]
« Aujourd’hui vous voilà entarté par le maître, [lui dit l’homme]. Telle est ma mission planétaire. Saboter le pouvoir et l’argent. »
Il commençait à comprendre. C’était André Pétrescu, l’assassin aux gâteaux, un type qui piégeait des directeurs de société, des militaires de très haut rang, des stars du foot et des politiciens. Il leur balancait des tartes à la crème au visage. Il bandait les yeux de chefs d’État en résidence surveillée. Il tendait des embuscades aux criminels de guerre et aux juges qui les condamnaient.
« Trois ans que j’attends ça. Du cuit au four, sinon rien. J’ai laissé passer le président des États-Unis pour frapper ce coup-ci. Lui, je l’entarte quand je veux. Vous êtes une cible d’exception, je vous le dis. Très difficile à localiser. »
C’était un petit bonhomme aux cheveux teints en blond brillant, qui arborait un tee-shirt Disneyworld. Éric releva la note d’admiration dans sa voix. Il lui lança soigneusement un coup de pied dans les couilles, en le regardant se ratatiner et se flétrir sous la poigne de Torval. [...]
Il retourna vers la limo en recueillant la crème fouettée sur son visage pour la manger, un nappage neigeux avec un soupçon de citron. Lui et Torval étaient désormais liés par la violence et ils échangèrenet un regard de respect et d’estime.
Pétrescu souffrait.
« Vous manquez d’humour, mister Packer. »
Éric lui secoua l’avant-bras, l’envoyant rebondir sur le torse de Torval. Il fallut un moment à l’homme pour retrouver l’usage de la parole.
« Vous êtes à la hauteur de votre réputation, d’accord. Mais j’ai reçu tellement de coups de pied et de bâton des services de sécurité que je suis un mort vivant. Quand je suis en Angleterre, ils me font porter un collier radio pour sécuriser la reine. Ils me pourchassent comme un oiseau rare. Mais croyez au moins une chose, s’il vous plaît. J’ai entarté Fidel trois fois en six jours quand il était à Bucarest l’an dernier. Je suis un peintre actionniste de la tarte à la crème. Je suis tombé d’un arbre sur Michael Jordan, un jour. Le coup de la fameuse Tarte Volante. Une vidéo qualité musée, pour la postérité. J’ai balancé une quiche dans la gueule du sultan du Brunei de merde, dans son bain. Ils m’ont mis dans un trou noir jusqu’à ce que je hurle par les yeux. »
Ils le regardèrent s’éloigner d’un pas chancelant.
Don DeLillo, Cosmopolis, 2003 ; Actes-Sud, trad. Marianne Véron.