Lectures d'été : Jean Meckert (2)
« À l’époque il avait un copain qui suivait aussi le dessin aux cours du soir de la rue Sorbier. Alors il lui avait dit que son père avait été exécuté et qu’il en était fier. L’autre avait trouvé plus fort et lui avait demandé s’il avait d’abord descendu ses officiers parce que son père à lui : Tac tac tac ! à la mitrailleuse ! Mort aux vaches ! Et pas si con pour se faire prendre commme un cave ! [...]
Dans les rues on trouvait encore parfois les affichettes sanglantes de l’Homme-au-couteau-entre-les-dents. Ce n’était pas l’image d’un nettoyeur de tranchée, noble gloire de toutes les armées conséquentes, mais la marque d’une trouille immonde devant la possible montée d’une Révolution.
En octobre, ou novembre 17, le père y avait cru. Lui, et bien d’autres, ils avaient refusé cet assassinat collectif dont il n’avait pas fallu attendre bien longtemps pour comprendre qu’il n’avait servi à rien, que c’était noire et sanglante imposture, crime imbécile de toutes ces castes dirigeantes, éternellement recommencé avec la peau des autres.
Et il s’était trouvé des pedzouilles qu’on reverrait plus tard en porteurs de médailles et de drapeaux, qui avaient accepté de former peloton, de tirer sur les frangins mutinés, avec une perme en prime et la pension des anciens combattants pour leur faire souvenir qu’ils avaient franchi les limites de l’abjection. »
Jean Meckert, Comme un écho errant, 1986, Joseph K. [2012]