CHRIS. MARKER - La Jetée (présentation de Jean-Pierre Bouyxou)
Un coup de rasoir filmé à 200 images par seconde – La Jetée de Chris Marker
par Jean-Pierre Bouyxou
Marker, en réduisant la violence au niveau de l'immobile, matérialise l’instant paroxystique de la souffrance et prolonge celle-ci au-delà des limites du réel: film d’images fixes, "photo-roman", La Jetée éclate d'une insoutenable violence, dont la S.F., loin d'en être amoindrie, est enrichie comme d’une nouvelle dimension. Il ne s’agit ni de cruauté, ni de sadisme, ni de brutalité. Cette violence est aussi impalpablement fascinante que celle d’un hurlement qui n’aurait pas de fin ou que celle d’un coup de rasoir filmé à deux cents images par seconde. Enlevant à l’image la réalité du mouvement, La Jetée s’inscrit dans une dimension parallèle.
Pour sauver ses contemporains, un homme est envoyé dans son passé, parce qu’une image, un souvenir, une femme entrevue l’obsèdent. Les savants l’assistent, comptent, chuchotent. L’homme voit le passé, l’homme vit le passé. Du futur où on l’envoie ensuite, vient le salut. Mais, retourné dans le passé, l’homme mourra, assassiné car cet ennemi en sait trop. Et il comprendra qu’enfant, sur une jetée, il avait vu sa mort.
La Jetée échappe à la critique. Irréprochable quant à la S.F., démoniaque quant à la forme qui joue du fondu comme élément dramatique, La Jetée est un poignant film d'amour, un hallucinant cri sur fond de cauchemar. Un chef-d'œuvre, en un mot.
Jean-Pierre Bouyxou, La Science-Fiction au cinéma, UGE, coll. "10/18", 1971.
Texte réédité dans Jeune, pure et dure. Une histoire du cinéma d’avant-garde et expérimental (sous la direction de Nicole Brenez et Christian Lebrat), Cinémathèque française, 2000.
La Jetée, 1963, 35 mm n&b, 25’ - Sc & R: Chris Marker – Ph: Jean Chiabaud – Sp.Eff: DSA (procédé Ledoux) – Mus: Trevor Duncan – Commentaire dit par Jean Négroni. – Int: Hélène Chatelain, Danos Hanich, Jacques Ledoux, André Heinrich, Jacques Branchu, Pierre Joffroy, étienne Becker.