Lectures pour tous : Tim Willocks
« Aspirant un grand coup, Victor Galindez retint son souffle et s’avança dans les flammes. Accroupi, faisant gicler la mousse par brèves saccades devant ses pieds, il pénétra dans une poche sans air et sans flammes. Trop vite, et il se heurtait à l’incendie; trop lentement, et il n’arriverait jamais au bout. À chaque pas, les flammes se reformaient derrière lui. Son dos commença à brûler. Au bord de sa casquette, il sentit les cheveux mouillés grésiller et se recroqueviller contre son crâne. Doucement. Doucement. Un pas, et puis un autre. Sous le masque, la sueur coulait dans ses yeux et embuait les verres. Ne respire pas. Pas d’oxygène, ici. Ses oreilles étaient remplies par le grondement de l’incendie. Il avançait à l’aveuglette. Du calme. Du calme. Mettre un pied devant l’autre, en espérant marcher en ligne droite – espérant, doutant, priant – en s’attendant à chaque instant à se cogner aux barreaux d’une cellule. Dans ce cas, il serait foutu. Galindez voulut faire demi-tour. Il n’osa pas. Voulut courir. Il n’osa pas. Voulut respirer. Il n’osa pas. Ne tourne pas. Ne cours pas. Ne respire pas. Il n’avait plus aucune idée du temps passé, de la distance parcourue. Les secondes duraient des heures. Pourtant, il devait bien se rapprocher. Il le fallait. Son épaule heurta quelque chose de dur. Il tourna le dos à cet obstacle. Ce n’étaient pas des barreaux. Lisse et dur, mais pas épais. Du verre. Du verre. Il avait dépassé les cellules. La chaleur était intense. Il fit gicler un demi-cercle de mousse à ses pieds et glissa sur le côté, le dos collé à la paroi lisse et dure. Sa tête allait exploser sous l’effet de la chaleur, de la claustrophobie, de l’effort de retenir son souffle. Soudain le verre disparut et il trébucha en arrière. [...] Cinq mètres plus loin, il émergea du brasier sous la lumière de la grande verrière, lâcha son extincteur et tomba à genoux en arrachant son masque à gaz. Des jambes en train de courir défilaient devant ses yeux. Une rumeur de violence chaotique emplit ses oreilles. Quand il leva la tête pour voir où il était, un objet dur et lourd s’abattit sur l’arrière de son crâne. Et le chaos sombra dans la nuit. »
Tim Willocks, Green River, 1994
[traduit de l’anglais par Pierre Grandjouan, Sonatine, 2010]