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le vieux monde qui n'en finit pas
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5 août 2013

« Il ne me déplaît pas de déplaire. » [Zo d'Axa]

la feuille 2

« En retraçant l’histoire d’une figure de la révolte de la fin du XIXe siècle, Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol offrent une étude remarquable des relations entre avant-garde littéraire et anarchie. Outre l’étonnante galerie des personnages croisés, évoqués, exhumés, l’intérêt de l’ouvrage réside dans la confrontation entre convictions révolutionnaires et révolte esthétique, confondues en un refus commun de la norme bourgeoise et de l’ordre établi.

« Le 29 mars 1893, l’avocat général Laffont électrise le public de la cour d’assises de la Seine par un réquisitoire incendiaire contre l’anarchiste Zo d’Axa, décrivant en détail l’engin explosif trouvé par la police dans ses affaires. L incriminé se redresse, toise le magistrat sur ses ergots monté, et réplique d’un ton tranquille que la machine infernale était en fait... un simple narguilé! Le prétoire s’esclaffe. L’accusé précise, goguenard: "On poussa la précaution jusqu’à l’envoyer au laboratoire municipal, pour faire analyser son contenu!"

« Zo d’Axa, littéralement "celui qui vit en faisant du bruit" [...] Qui se cache derrière ce patronyme excentrique ? Un jeune dandy issu d’une bonne famille, Alphonse Gallaud. Il va pourtant devenir l’une des principales plumes insurgées de la "Terreur noire", comme on s’est plu à qualifier le début des années 1890 marquées par les bombes libertaires, les scandales d’État, les assassinats de présidents, le début de l’affaire Dreyfus et la misère effroyable des indigents sur le pavé de la grande ville industrielle.

« Anarchiste, Zo d’Axa? Il s’en défend, refusant toute étiquette et se plaçant "en dehors", par principe, de toute catégorie ou de tout classement. "Anarque", pourrait-on dire, pour reprendre une nécrologie consacrée au pamphlétaire en 1930: "monarque de lui-même"... Libertaire individualiste donc.

« "Ce que j’ai voulu avant tout, c’est à être logique, ne pas me perdre dans le rêve et démontrer qu’avec les éléments de notre société actuelle on pouvait parfaitement constituer la société harmonique que nous entrevoyons." (lettre du 18 juillet 1891)

« Sans forcément jouir de la postérité d’un Bakounine pour la théorie révolutionnaire ou de son ami Félix Fénéon pour son rôle fédérateur au sein de l’avant-garde littéraire fin-de-siècle, Zo d’Axa n’en est pas pour autant oublié des tablettes de l’Histoire. [...] Un des mérites du livre de Jean-Jacques Lefrère et Philippe Oriol est d’en restituer la cohérence biographique, avec une rigueur qui n’en atténue pas la dimension narrative: Zo d’Axa tente l’aventure militaire, déserte, séduit, arpente les ateliers d’artistes de la Belgique à l’Italie où il rencontre vers 1889 la révolte comme catalyseur d’une indignation chaque jour plus bouillonnante. [...]

« Celui que rien n’enrôle et qu’une impulsive nature guide seule, ce passionnel sans "complexe, ce hors-la-loi, ce hors d’école, cet isolé chercheur d’au-delà ne se dessine-t-il pas dans ces mots: Endehors?"

« [... ] Zo d’Axa vit la grande persécution des anarchistes et les lois scélérates de 1893 et 1894 depuis Sainte-Pélagie. Les auteurs restituent parfaitement le climat de psychose qui dévore Paris en 1894, à quelques heures de l’exécution de Caserio, lorsque Zo d’Axa est arrêté par la police à la porte même de sa prison, dans laquelle il se réfugie pour échapper aux forces de l’ordre! De nouveau condamné, il doit reprendre le chemin de l’exil.

« La suite est connue. En 1897, Zo d’Axa lance l’une des plus curieuses aventures de presse avec la feuille (sans majuscule), sorte de placard illustré assorti d’un éditorial signé de sa plume, sans périodicité, sans modèle connu. Nous sommes en pleine affaire Dreyfus et d’Axa n’en a cure: il sollicite des dessinateurs des deux bords, et refuse un engagement à ses yeux pervers: "Si ce monsieur ne fut pas traître – il fut capitaine. Passons."

« Les tribulations du polémiste permettent d’esquisser une galerie de personnages hauts en couleur, dont les silhouettes reposent sur un impressionnant appareil de notes, faisant alterner dossiers de police, de justice et une connaissance bibliographique qui force le respect. Les auteurs produisent de nombreux éléments d’une correspondance inédite, laquelle étaie considérablement un profil que d’anciens biographes moins assidus avaient vite dévoyé vers un romanesque superficiel.

« Mais le titre de l’ouvrage, La Feuille qui ne tremblait pas, reléguant en simple sous-titre Zo d’Axa et l’anarchie, contient en fait le projet du livre, à savoir l’étude approfondie des liens organiques entre l’anarchie et les avant-gardes littéraires sur la base d’un corpus de presse, ici L’Endehors et la feuille. C’est moins Zo d’Axa le réfractaire que les auteurs entendent camper que le passeur, le "guide d’un avant-siècle dont il fut à la fois l’acteur et le témoin". Les citations d’extraits jubilatoires de L’Endehors, le décryptage minutieux des unes de la feuille, les illustrations abondantes disposées au fil des pages reflètent le climat de violence morbide et l’orchestration de la rhétorique anti-anarchiste des années 1891-1899.

« Dandy assumé, duelliste émérite et rentier de son état, c’est peu dire que Zo d’Axa déroute, jusqu’à en hérisser beaucoup dans les sévères milieux anarchisants. Comme il l’écrit, dans un sourire de plume: " Il ne me déplaît pas de déplaire..." »

Laurent Bihl (On lira l'article complet dans La Quizaine littéraire du 15 juillet 2013)

xxx

la feuille qui

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