Lectures pour tous : Jean Rolin
« [Wax] se trouve maintenant à la hauteur d’un monument de carton-pâte – un faux rocher, d’où saillit sur le versant opposé une cascade –, dans lequel il croit reconnaître ce décor de l’Iceland Park, près de Ras al-Khaimah, couronné de pingouins, qui abritait un bar où il s’est saoulé à plusieurs reprises alors qu’il séjournait dans les Émirats. "Un endroit merveilleux, se dit-il, et tenu par un Australien très sympathique", même si ce n’est pas exactement sous ce jour qu’il les envisageait, l’un et l’autre, à l’époque. Ah ! mais voici justement une buvette, installée dans un curieux bâtiment dont les formes galbées et jumelles évoquent une paire de nichons, bien qu’ils s’agisse plus vraisemblablement d’une imitation de réservoirs d’eau à l’ancienne. Wax se rappelle à point nommé qu’il ne peut y commander de boissons alcoolisées. Bon. Va pour un Coca-Cola – dont l’Iran n’a jamais cessé d’être approvisionné –, accompagné d’un Hiss, cette abominable contrefaçon locale du KitKat. En sortant de la buvette, Wax, pour rejoindre le boulevard, le long duquel sont alignés des pick-ups débordants de melons, de pastèques ou de grenades, doit contourner le rocher de carton-pâte, et il découvre que de ce côté, au pied de la cascade, dans une demi-obscurité, se dresse la statue d’une porteuse d’eau, terrifiante de réalisme et de pâleur, dont il lui semble qu’elle tient fixé sur lui son regard vide. »
Jean Rolin, Ormuz, POL, 2013
Larak (photo aérienne)