Lectures pour tous : Tim Willocks
« Vendredi 18 mai 1565. Baie de Kalkara, le Borgo, Malte.
« Le massacre des chiens avait pris trois jours. Aujourd’hui c’était le quatrième. Leur extermination avait été décidée par le grand maître La Valette. Lors du siège de Rhodes, disait-on, La Valette avait vu le peuple manger des chiens et des rats. Pire, les chiens avaient mangé les cadavres des massacrés. Il avait donc décrété qu’à Malte la mort viendrait pour tous avant qu’une telle dégradation ne soit tolérée. Orlandu avait aussi entendu que, entre tous les animaux de la Création, La Valette réservait son amour le plus tendre à ses chiens de chasse. Avant de rendre son décret public, La Valette avait pris son épée et tué de sa propre main ses six chiens bien-aimés. Après cela, disait-on, La Valette avait pleuré de compassion.
« Si le décret était assez simple, son exécution s’était avérée plus malaisée que quiconque aurait pu s’y attendre. Beaucoup, qui avaient leurs chiens à portée de main, suivant l’exemple de La Valette, les tuèrent eux-mêmes. Mais cette politique ne pouvait être cachée aux animaux ainsi condamnés. Au crépuscule du premier jour, alertés par les hurlements de leurs semblables et avec leurs maîtres qui se tournaient contre eux de tous les côtés, chiens domestiques et errants confondus s’étaient tous regroupés en bandes aux yeux sauvages, qui arpentaient les rues et les ruelles de la cité. Comme la ville était fermée de remparts et entourée par la mer, aucune échappée n’était possible et tout sanctuaire était exclu.
« Puisqu’à cet égard les chiens ressemblent étrangement aux hommes, les bandes étaient menées par les plus sauvages et les plus astucieux d’entre eux. En si grand nombre, et animées par la terreur et l’odeur de leurs pairs dont les carcasses étaient quotidiennement brûlées, ces bandes s’avérèrent extrêmement dangereuses et d’un courage inouï. Comme la chasse et le meurtre de chiens faisaient partie des basses œuvres, indignes des combattants et des chevaliers, que tous ceux qui pouvaient marcher étaient employés à la préparation de la guerre, et que cette tâche n’était pas faite pour les femmes, un sergent d’armes eut la brillante idée d’utiliser les garçons recrutés comme porteurs d’eau pour servir les fortifications pendant le siège. Orlandu, qui avait été assigné au bastion de Castille, avait été parmi les premiers à se porter volontaire. »
Tim Willocks, La Religion, 2006,
traduit par Benjamin Legrand, Sonatine (2009)
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Vandeau, le magnifique lévrier blanc de John Frederick Herring