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13 septembre 2015

Erri De Luca : Si l'Europe refuse l'asile aux migrants...

Si l'Europe refuse l'asile aux migrants, elle les noie [extrait]
par Erri De Luca

[on lira le texte complet ici]

~

A force de naufrages, sur terre comme sur mer, l’Europe a progressé dans son vocabulaire: au début des naufrages, elle utilisait le mot "clandestins". Bien des massacres plus tard, elle a appelé ces personnes "migrants", puis "exilés", puis "réfugiés", même si le refuge n’est accordé que dans peu d’endroits. Pour les noyés, pour les asphyxiés dans les camions, ce sont de grandes satisfactions. Avec leurs corps, avec leurs vies semées comme de l’engrais, ils ont modifié le vocabulaire de l’Europe.

Dans le nouveau musée de Lampedusa, on a rassemblé des chaussures, des biberons, des textes du Coran, des pages gonflées de sel de mer. Qui, sinon une personne civilisée au plus haut degré, glisse un livre dans son tout petit bagage ? Ces pages, qui n’ont pas été noyées avec leur lecteur, sont le plus fort des témoignages: non pas de leur droit d’asile, mais de notre devoir de le donner.

Je suis retourné à Lampedusa fin septembre 2014. C’était le premier anniversaire de l’énorme naufrage par mer calme et en vue de la côte. J’ai rencontré les pêcheurs qui, de retour de leur nuit en mer, s’étaient retrouvés à l’aube au milieu de corps qui flottaient et de vivants en hypothermie agrippés à leurs camarades morts noyés. Ces pêcheurs ont plongé pour remonter à bord ces vivants engourdis.

Pourquoi ont-ils dû se jeter à la mer ? Parce que la mer était luisante de mazout perdu par le bateau et les bras de ceux qui étaient encore en vie glissaient des mains de ceux qui voulaient les sauver. Avec eux et le plongeur qui dut descendre jusqu’à l’épave, nous sommes allés sur le lieu du naufrage. Ensemble, nous avons décidé d’un geste: nous avons jeté des poignées de sel sur la mer. Pas des fleurs, mais du sel, car c’était une blessure, et elle ne devait pas cicatriser. "Béni soit ton sel, béni soit ton fond", avons-nous dit à la mer.

Erri De Luca [traduit de l'italien par Danièle Valin]

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