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le vieux monde qui n'en finit pas
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26 décembre 2015

Lectures pour tous : Mary Dorsan

Trois heures à Paris un samedi

Sur le boulevard Saint-Michel, un homme en costume se retourne sans discrétion pour regarder une femme en minijupe jaune et chemisier noir bouffant qui s’est arrêtée devant la vitrine d’un magasin de chaussures, en équilibre sur de hauts talons, noirs, brillants. À mi-chemin du passage piéton, une femme, aux lèvres confiture de fraises, suit d’un regard insistant les fesses d’un homme en jean moulant qui étudie un plan de Paris, en avançant lentement. Il contourne un adolescent rêveur, aux cheveux longs et gras, qui n’écoute plus ses copains, qui fixe une jeune fille en robe bleue fleurie, très courte, qui passe avec ses copines. Un vendeur, sur le pas de sa porte, observe une cycliste bronzée, en short – le pied posé à terre, en espadrille, elle attend que le feu passe au vert. À côté d’elle, une conductrice, en décapotable argentée, observe un jeune homme à la terrasse d’un café qui encercle les épaules d’une jeune femme rousse, souriante, en robe blanche. Au bar, le serveur ne peut pas s’empêcher de fixer les seins ronds de la cliente qui oublie son décolleté, se penche au-dessus de son sac, farfouille dans les poches à la recherche de son porte-monnaie. Devant une banque, un petit garçon, les mains vides, envie la petite fille qui tient un tigre rugissant dans ses mains potelées, tandis que le père de l’un et la mère de l’autre parlent de la rentrée. Puis le père remarque un clochard adossé à un lampadaire qui regarde les mollets de femmes qui se croisent. Pendant ce temps, un peu plus haut sur le boulevard, un homme seul avec une écharpe demande du feu à un autre homme seul à casquette, ils s’approchent très près l’un de l’autre pour allumer la cigarette. Ils repartent ensemble. À la sortie de la librairie, la caissière, qui s’ennuie, scrute la main hâlée de l’homme posée sur sa pile de livres tandis qu’avec l’autre il tapote son code secret pour régler ses achats. Elle remarque ses doigts longs et larges, une cicatrice sur le majeur, sa bague à l’annulaire, les poils noirs de son poignet épais. Derrière, une autre cliente (Caroline) les observe, puis c’est son tour d’être observée par un homme aux cheveux blancs, aux yeux presque trop bleus dont elle croise le regard avant de ressortir sur le boulevard en écoutant l’annonce qui grince dans les hauts-parleurs: « Pour faciliter vos achats de fournitures scolaires à la rentrée, votre librairie ouvrira exceptionnellement de 8h30 à 20h30 du lundi 2 septembre au samedi 7 septembre », et se mélange aux conversations, se mêle aux bruits de la circulation.

Mary Dorsan, Le présent infini s’arrête, POL, 2015

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Commentaires
L
"La Vue" de Raymond Roussel n'est pas loin...
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T
un "roman" exceptionnel qui n'a pas eu l'écho qu'il mérite lors de la rentrée littéraire 2015<br /> <br /> dans le comité de lecture dont je suis membre (Notes bibliographiques, Culture et bibliothèques pour tous) je me suis battue bec et ongles pour cet objet littéraire, mais in fine on m'a opposé sa noirceur, sa longueur (arguments non recevables amha) qui rebuteraient les lect.eurs.rices de bibliothèques de loisirs... no comments :(
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