Quand les poètes sont de mauvais poil
Aujourd'hui, Albert de Routisie (Louis Aragon), 1928
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« Brutes je vais crier je crie brutes fils de truies enculées par les prie-Dieu avortons de caleçons sales boues de chiottes mailles sautées aux bas des putains crapauds domestiques muqueuses purulentes vermines lâchez-moi roulures de rhododendrons poils d’aisselles bougies tontes de poux suints de rats copeaux copeaux noires déjections lâchez-moi je vous tue je vous pile je vous arrache les couilles je vous mâche le nez je vous je vous piétine. Mort mort ils vont donc me réveiller ils me réveillent. À moi les cascades les trombes les cyclones l’onyx le fond des miroirs le trou des prunelles le deuil la saleté la photographie les cafards le crime l’ébène le bétel les moutons de l’Afrique à face d’hommes la prêtraille à moi l’encre des seiches le cambouis les chiques les dents cariées les vents du nord la peste à moi l’ordure et la mélancolie la glu épaisse la paranoïa la peur à moi depuis les ténèbres sifflantes depuis les cavalcades d’incendies des villes de charbon et les tourbières et les exhalaisons puantes des chemins de fer dans les cités de briques tout ce qui ressemble au fard des nuits sans lune tout ce qui se déchire devant les yeux en taches en mouches en escarbilles en mirages de mort en hurlements en désespoir crachats de cachou crabes de réglisse rages résidus magiques muscats phoques or colloïdal puits sans fond. À moi le noir. » [1928]