Gainsbourg, les féministes radicales réactionnaires et l'ami Gérard Lenne
LES CHASSEUSES DE SORCIERES
(par Gérard Lenne, 20 août 2017)
Et maintenant, Gainsbourg !
Le 11 juin 2017 est paru, sur le site "Rivages", un article de la journaliste-écrivain Caroline Bréhat, intitulé Papa forever. Il s’agit de s’attaquer (alors que personne ne lui demande rien) à la relation (intime, privée, et qui devrait le rester) entre Charlotte et Serge Gainsbourg. Comme pièces à conviction, un baiser sur la bouche lors de la cérémonie des Césars et le clip de la chanson Lemon incest - assortis de déclarations récentes de Charlotte.
Instruire à charge semble être une spécialité de Caroline Bréhat, dont toute la problématique se fonde sur le concept pour le moins douteux de l’"incestuel". Ce terme aurait été lancé par Paul-Claude Racamier dans les années 80, et officialisé par son livre Inceste et incestuel (1995). L’auteur le définit ainsi: « L’incestuel c’est l’inceste moral » ou encore « un climat où souffle le vent de l'inceste, sans qu'il y ait inceste ». D’emblée, on saisit la dimension tordue d’une telle notion, qui restaure celle du "péché par la pensée" cher à la tradition judéo-chrétienne. Il ne l’a pas fait, mais il aurait pu le faire ! Il y a pensé. Il en a rêvé ? Il a fantasmé. Il y a toute une école de moralistes pour qui le fantasme, c’est déjà un délit.
C’est très pratique pour quelqu'un comme Caroline Bréhat. Il n’y a pas eu d’inceste, pas le commencement d’un début de réalité incestueuse, mais c’est tout comme: il suffit d’appeler ça l’incestuel. Ensuite, il devient facile d’interpréter le moindre indice dans le sens le plus négatif. Perversion de certaines théories psychanalytiques !
Je reviendrai à cette (fausse) affaire Gainsbourg, mais auparavant il me faut souligner, sans tomber dans le complotisme qui est toujours une facilité, que celle-ci prend la suite logique d’une série que nous devons à ce que j’appellerais les féministes RR (radicales réactionnaires). Lesquelles s’acharnent depuis quelques années contre ceux qu’elles considèrent comme des coupables d’abus sexuels - logique selon laquelle tout suspect est coupable, et tout coupable impardonnable (d’où la revendication d’imprescriptibilité, à l’égal des crimes contre l’humanité).
Ainsi, Serge Gainsbourg va s’ajouter à une liste qui comprend déjà Roman Polanski, Woody Allen, Dominique Strauss-Kahn, David Hamilton, Irina Ionesco... Aucun de ces accusés-donc-coupables n’ayant été jugé dans un procès légal (DSK l’a été pour une affaire collatérale, pour laquelle il a été acquitté), ils ont tous été les cibles d’un acharnement digne d’une moderne chasse aux sorcières. Plusieurs fois incarcéré, Polanski vit depuis 40 ans sous l’épée de Damoclès d’une extradition et a dû renoncer, sous la menace, à présider la cérémonie des Césars. Woody Allen se fait attaquer en pleine cérémonie au Festival de Cannes. DSK a vu sa carrière politique brisée d’un jour à l’autre. Quant à David Hamilton, au lendemain de la parution dans L'Obs (hélas !) d’une enquête systématiquement à charge, il s’est suicidé.
Je répète que je ne m’attache pas ici à définir l’éventuel degré de "culpabilité" des uns et des autres. Je constate seulement à quel point l’acharnement qui les poursuit s’apparente à l’instauration d’une justice parallèle, aux règles arbitraires et dépourvue de tout contrôle. Comment ne pas y voir l’effet d’une haine viscérale de la masculinité !
Et il se trouve que les instigatrices de cette pseudo-justice font partie de ces "féministes RR", de ces journalistes de l'Obs jusqu'à la récente Caroline Bréhat. Je ne vais pas m’amuser à citer des noms, mais au moins une organisation, qui sévit sous le nom de "Osez le féminisme". J’ai été personnellement, avec bien d’autres, pris pour cible sur leur site Internet. Il se trouve que j’avais signé une pétition diabolique, fomentée par le doux chanteur Antoine, figurant ainsi entre Catherine Deneuve et Claude Lelouch, pour demander une réflexion sérieuse sur la question de la prostitution (on se souvient comment cette proposition raisonnable fut balayée, ce qui aboutit à la loi sur le système prostitutionnel du 6 avril 2016, jour où le Parti socialiste s’est honteusement déshonoré). Les aimables militantes d’Osez le féminisme m’ont ainsi dénoncé en tant que "défenseur de pédophile" parce que j’avais signé auparavant un appel en faveur de Roman Polanski.
Un autre exemple ? Au nom du Sfcc (Syndicat français de la critique de cinéma), j’avais adhéré à l’Observatoire de la liberté de création, essentiellement afin de défendre les réalisateurs de films contre toute forme de censure. Fondé sous l’égide de la Ligue des droits de l’homme, cet "Observatoire" est malheureusement noyauté par des féministes RR, auxquelles je ne tardais pas à m’affronter, ce qui entraîna mon inévitable démission.
Tout laisse donc à penser que Caroline Bréhat appartient à la même espèce. Celle qui, très loin de l’héritage du MLF ou du Women’s Lib, prône aujourd'hui un néopuritanisme féroce, et qui fait alliance aux Etats-Unis avec le tea party et l’aile droite du parti républicain.
A la lumière de ces éléments historiques, revenons donc à cette récente attaque contre Serge Gainsbourg. Point de mire, la chanson Lemon incest, dont il n’est pas tenu compte que Gainsbourg lui-même, à plusieurs reprises, tint à faire souligner que les paroles "L’amour que nous ne ferons jamais ensemble" la tiennent à l’écart de toute ambiguïté. Justement ! vont se récrier les disciples de Racamier. Pas d’inceste, cela renforce le soupçon d’incestuel ! Les tribunaux de l’Inquisition n’ont jamais trouvé mieux. Les déclarations incriminées de Charlotte ne comportent pas la moindre accusation d’abus sexuel, et quand elle dit « Mon père me faisait faire des choses qui me gênaient », on reste pour le moins dans le vague. Le clip de Lemon incest va-t-il "trop loin" ? On peut toujours en discuter, de même qu’on peut comprendre que le tournage de Charlotte forever ait pu susciter une gêne chez sa jeune interprète comme bien d’autres tournages, de bien des films, chez bien des comédiennes. Est-ce assez pour vouer Gainsbourg aux gémonies ?
Il faudrait être bien innocent, certes, pour réfuter la dimension sulfureuse d’un créateur, et en particulier son obsession récurrente (pléonasme volontaire) du thème de la lolita. Une inspiration que certains peuvent réprouver, mais qui n’est pas un crime. Mais Bréhat, comme ses semblables, accumule à plaisir les indices. Je ne voudrais pas alléguer d’une quelconque qualité de témoin direct, mais il se trouve que j’ai fréquenté de près la famille Birkin, à l’époque où Charlotte est allée passer une année scolaire en Suisse. Bréhat insinue clairement qu’elle a souhaité cet éloignement pour échapper à son père... N’importe quoi !
Charlotte est entrée ensuite dans une période d’introversion, de timidité pathologique, de mutisme, correspondant au tournage de L'Effrontée et à la récompense des Césars. Faisons une pause sur ce baiser, que je n’ai jamais considéré comme autre chose, pour ma part, qu’une variation sur le baiser à la russe (Khrouchtchev et Brejnev en faisaient autant). Quant à l’émoi de la jeune fille devant une salle de 2000 personnes, on conviendra qu’il avait bien des explications plausibles.
Reste que Serge Gainsbourg a toujours été accoutumé au parfum du scandale - même si Lemon incest, contrairement à ce que prétend Bréhat, n’a justement pas provoqué de scandale à l’époque. En même temps, c’était un homme d’une sensibilité extrême, et tout laisse à penser (et les paroles grandiloquentes de Lemon incest, ne font que le confirmer) que dès sa naissance, Charlotte a compté pour lui avec une démesure très compréhensible, qu’on n’est pas obligés pour autant de baptiser "incestuelle".
Le témoignage de Jane Birkin, qui nie fermement toute ambiguïté sexuelle entre le père et sa fille, est paradoxalement interprétée par Bréhat somme une preuve a contrario. Elle conclut ainsi: « Charlotte n’était même pas entendue par sa mère ». Peut-on rêver dialectique plus perverse ? Si Jane avait accusé le père disparu, l’affaire était faite. Qu’elle le disculpe, ça veut dire qu’il était coupable, conformément au vieux mythe de la mère aveugle et muette. On tombe dans l’odieux.
Faut-il relever le style polémiste adopté par cet article ? Le "père-pieuvre", plein de "morgue", aux oeuvres "insalubres", imposant à sa fille "une souffrance criante"... Passons.
Tout nous montre ici que nos "féministes RR" ne se préoccupent pas des actes éventuels (puisqu’en l’occurrence ils n’existent pas et personne n’ose le prétendre) mais qu’à l’instar des juges de l’Inquisition, elles condamnent les fantasmes eux-mêmes. Elles oublient que non seulement les fantasmes sont inoffensifs en soi, mais qu’ils sont nécessaires, voire indispensables, à cause de leur fonction évidente de soupapes, que ce soit dans la vie de la société que dans la psychologie de chacun.
Gérard Lenne
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[ajout de GL] Suite au texte ci-dessus, j’ai déjà reçu l’observation suivante, qui me semble d’une justesse imparable :
« Il est incontestable que beaucoup d’hommes ont des fantasmes incestueux, mais la lucidité acquise depuis plus d’un siècle sur notre psychisme nous amène à les accepter comme faisant partie d’un fonctionnement de celui-ci qui ne peut être supprimé, donc les féministes RR sont non seulement dans l’injustice car elles condamnent l’intention et non l’acte, ce qui est contraire au droit, mais aussi dans la nocivité car elles voudraient s’introduire dans le cerveau des hommes pour le modifier, prenant le risque de générer des passages à l’acte par culpabilité excessive au lieu de les empêcher. Et on peut ajouter que le fantasme de viol récurrent chez les femmes (études à l’appui) ne fait pas d’elles des complices de tous les viols commis autour d’elles. »