Entretien avec JLG (Golotyuk, Derzhitskaya, "Débordements")
Entretien avec Jean-Luc Godard, par Dmitry Golotyuk et Antonina Derzhitskaya (Rolle, 22 mai 2016).
Publié en russe sur Séance
puis en français sur Débordements
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Débordements : Beaucoup de gens étaient enclins à considérer Adieu au langage comme votre adieu au cinéma. Heureusement, ce n’est pas le cas et vous l’avez déjà dit. Mais est-ce un hasard si vous y retracez en quelque sorte votre parcours cinématographique ? Vous citez votre article des années Cahiers où vous étiez critique et ne tourniez encore que des courts métrages ; on y retrouve les mêmes extraits d’Aragon et d’Apollinaire que dans A bout de souffle, votre premier long; une dispute devant la machine à laver fait penser à Numéro deux, une scène de violence sous la douche rappelle, plus clairement encore, Prénom Carmen et la formule "Abracadabra Mao Tsé Tung Che Guevara" est empruntée à King Lear et renvoie indirectement à votre période maoïste. Enfin, on entend un extrait de la bande-son de votre film précédent, à savoir la voix d’une fille appelée Florine qui cite Beckett. Cela pourrait ressembler à un testament artistique.
Jean-Luc Godard : Oui. Non, je n’y ai pas pensé du tout.
D. : Donc, c’était plutôt un hasard ?
JLG : Oui, un hasard. Forcément, j’ai des souvenirs et quelquefois il y a des choses qui restent plus, comme certaines citations ou phrases un peu favorites. Si je pense qu’on peut les mettre, on peut les mettre. Beckett, je me souviens d’avoir lu que, quand il a publié ses premiers livres, il avait deux ou trois cent lecteurs seulement. C’est bien après qu’il est devenu célèbre. Et je pensais que "adieu au langage"... C’est surtout par rapport au langage. J’avais lu un livre d’un philosophe allemand du début du siècle, qui s’appelle Le langage. Et en gros, il dit quelque chose comme... Comment c’était ? Il faudrait que je le retrouve. Attendez, je vais le retrouver. (Il apporte un livre de Fritz Mauthner.) A la fin de son livre il dit: "On accomplirait l’acte rédempteur... (JLG : "rédempteur"... c’est un peu chrétien, mais...) si l’on pouvait conduire la critique jusqu’à la mort volontaire, sagement désespérée, de notre penser / parler (JLG : de la façon dont on pense et on parle), s’il ne fallait pas conduire cette critique avec des mots qui n’ont que l’apparence de la vie." C’était un peu pour dire par rapport au cinéma ou à l’image, qu’aujourd’hui on est surtout dans une époque où c’est les mots ou ce que les gens appellent "le langage" qui renvoient aux images et qui ne partent pas de l’image pour aller jusqu’à la parole. C’est toujours les mots qui recouvrent tout: on le voit à la télévision et des choses comme ça. Donc c’était cette idée-là. "Adieu au langage" veut dire adieu à notre façon de penser / parler (si possible, si j’y arrive). Voilà, c’était ça, l’idée. Et en Suisse, enfin ici, dans notre canton de Vaud, le Pays de Vaud comme ils disent, "adieu"...
D. : Oui, oui, cela veut dire "bonjour".
JLG : "Adieu" veut dire "bonjour" aussi. On dit les deux. Vous vous appelez comment ?
Antonina.
JLG : Si je vous croise dans la rue, je vous dis: "Adieu, Antonina." C’est une question de ton. Et puis après, si je vous dis "au revoir", je dis: "Adieu, Antonina." (Il prononce ça d’une voix plus grave.) Voilà.
D. : Pour revenir aux citations, dans votre film vous évoquez également le discours de Kirillov sur le suicide...
JLG : Oui, ça m’avait intéressé beaucoup très jeune, et puis j’y suis revenu. Kirillov, c’était un de personnages du film La Chinoise aussi. C’est dans le roman de Dostoïevski, Les Possédés, je crois, que j’ai jamais bien lu en entier. J’ai lu d’autres Dostoïevski en entier, mais pas celui-là. Et il y avait un des premiers essais philosophiques d’Albert Camus - j’étais jeune, encore, avant le baccalauréat - qui s’appelait Le Mythe de Sisyphe et qui commençait par une phrase que j’ai mise une fois dans un film qui était, je crois, For Ever Mozart: "Le suicide est le seul problème philosophique vraiment sérieux."
D. : Et dans Notre musique aussi.
JLG : Peut-être. Oui, c’est des phrases qui ne sont plus des citations. Finalement, elles font partie de moi et je les dis comme si c’était moi qui les avais trouvées. (Il rit.)
D. : Mais vous ne cherchez pas à créer ainsi une certaine continuité entre vos films ?
JLG : Non, pas du tout. Enfin, à lier forcément un petit peu, mais des fois ça va en arrière, des fois ça va en avant.
D. : En tout cas, il y a un lien évident, amusant et quelque peu provocateur, entre Film socialisme [1] et Adieu au langage: dans le premier film, un gamin, Lucien, annonce que quand viendra l’heure de l’égalité, il parlera de la merde, et dans le second, Marcus et Gédéon remplissent sa promesse.
JLG : Oui, oui. Cette histoire de merde vient d’Antonin Artaud aussi qui dit: "Dès qu’on parle de l’être (c’est très anti-Heidegger), on parle de la merde." Et en français, quand quelqu’un dit des bêtises ou des erreurs, on dit: "C’est de la merde", c’est-à-dire que ce qui sort de la bouche est pareil que ce qui sort de derrière.
D. : Anne-Marie Mièville est absente du générique d’Adieu au langage.
JLG : Oui, maintenant on parle comme ça. Elle dit son avis des fois, mais...
D. : Donc, vous continuez à discuter avec elle de ce que vous faites ?
JLG : Oui. Comme on dit, on parle pas beaucoup, mais ce n’est pas du silence.
D. : Et pour la nouvelle musique utilisée dans votre film - les enregistrements récents de Dobrinka Tabakova et Valentin Silvestrov -, est-ce Anne-Marie qui l’a portée à votre attention ?
JLG : Non. C’est des musiques que me sont envoyées par ECM. Et de temps en temps, elles me parlent. Ils m’en envoient régulièrement, et des fois j’en mets des parties comme ça. Parce qu’après, les histoires de droits sur la musique sont plus faciles avec ECM qu’avec d’autres.
D. : Mais il faut quand même payer ?
JLG : Ah oui, ça, il faut payer. Comme le dit Eddie Constantine dans Allemagne neuf zéro: "Toujours aimer, toujours souffrir, toujours payer."
D. : Alors, vous écoutez vous-même tout ce qu’ils envoient ?
JLG : Pas tout de suite. Mais au moment où je fais un film. Surtout quand on est au montage. Tout à coup, je dis: "Tiens, là, il faudrait une musique." Alors, je cherche. J’essaie que ce soit pas une musique d’accompagnement comme dans les films américains, ce qui est très, très insupportable. Même dans les films d’Hitchcock, la musique est insupportable. Enfin, pour moi.
D. : Pour notre part, nous apprécions beaucoup comment vous traitez la musique, le son en général. En tant que musiciens, nous croyons que vous l’êtes aussi.
JLG : Non, parce que je n’écoute pas pour moi. J’en ai écouté peut-être beaucoup autrefois, surtout de la musique classique, mais après pas. Après, je n’écoute jamais pour moi, uniquement quand je cherche quelque chose: un son qui est l’équivalent d’une image et qui est plus près de la parole au sens profond. Parce que les Américains et les Allemands, ils n’ont pas de mot pour "parole". Ils disent "Worte" ou "words". Même Hamlet dit: "Words, words, words." Mais il n’y a pas de mot pour "parole". Et la parole, je me souviens que Malraux disait (je l’ai mis une fois dans un film, dans For Ever Mozart... non, dans quoi ? ): "Quand on entend sa propre voix..."
D. : « Ça vient d’où ? » [2]
JLG : "...on ne l’écoute pas avec les oreilles, comme la voix des autres, on l’entend avec sa... Quand on écoute sa propre voix, elle vient de la gorge." Elle ne vient pas du cerveau ou de comme ça. Je ne me souviens plus le nom du film. Mais c’est à partir de For Ever Mozart que ça a changé un petit peu pour moi, que je suis allé plus près de cet "adieu au langage".
D. : J’aime le début de For Ever Mozart, ironiquement pompeux: le titre du film apparaît avec un premier accord, fortissimo en tutti, d’un concerto classique pour piano et orchestre. Mais le plus beau, c’est que ce n’est pas Mozart, c’est Beethoven.
JLG : Je ne m’en souviens pas.
D. : Comme si on confondait facilement l’un avec l’autre. Je m’attarde sur ce décalage comique entre ce qu’on voit et ce qu’on entend, aussi parce qu’il reflète à sa façon une opposition entre l’art pur et l’art engagé qui est au cœur de votre film. Car on sait très bien que Beethoven était un musicien à la conscience politique plus marquée.
JLG : Mais oui, il a vu l’empereur Napoléon quand celui-là partait en Russie. Mais tout ça, pour moi, c’est même plus des citations, c’est plutôt des restes archéologiques. Le film que je suis en train de faire, je l’appelle... si c’était un ouvrage littéraire, je l’appellerais essai de morale archéologique. Mais si on marque "essai", ça fait très littéraire, alors je marque juste "morale archéologique". Et c’est des bouts de films où on cherche... Comme, je sais pas si vous connaissez ces deux cinéastes italiens qui font des recherches archéologiques... Comment ils s’appellent ? J’ai oublié. C’est du cinéma underground. Je ne me souviens pas les noms [3]. Les noms très souvent maintenant disparaissent, et c’est pas que je perds la mémoire, c’est que je vois soit les visages, soit les phrases, mais pas comme des mots qu’on entend, mais comme des tableaux ou comme ça. Même dans ma vie, si je me dis: "Tiens, je vais prendre un cigare", je vois l’image du cigare, mais le mot vient après. Ou: "Je vais aller déjeuner à tel restaurant", mais la photo du restaurant vient avant.
D. : C’est plus proche de ce que vous appelez "le langage".
JLG : Oui.
D. : On dirait que dans les années 80, vous êtes passé à des thèmes plus généraux, plutôt anhistoriques, mais en même temps vous ne cessez pas d’être engagé dans l’actualité y compris politique, qui, depuis le milieu des années 90, reconquiert peu à peu sa place dans vos films. On peut dire que maintenant chez vous il y a un peu les deux, Mozart et Vicky.
JLG : Qui ? Vicky ?
D. : Vicky de For Ever Mozart, le réalisateur.
JLG : Ah oui, Vicky. Mais oui, c’est en vieillissant aussi, tout ça. Et puis, je me suis toujours, déjà assez jeune, parce que je viens d’un milieu un peu réactionnaire, protestant et tout ça... J’ai appris tout seul la Deuxième Guerre mondiale. Je ne connaissais pas même... Je me souviens que quand les Allemands envahissaient la Russie, je me suis intéressé à Tolstoï, Guerre et Paix, après seulement. En souvenir de ça. C’est une période dont mes parents ne me parlaient pas, bien qu’ils fassent partie de la Croix Rouge, en Suisse, et qu’ils aident les enfants. Et je me souviens que je connaissais aussi bien les noms des généraux allemands que des généraux russes. Et que je mettais des petits drapeaux et des choses... Je me souviens encore du nom de la bataille de... la prise de Rostov. Et ça, c’est resté, parce que toute cette période, de quinze - ou même avant - à vingt-cinq ans, j’ai découvert moi-même après. Et si j’ai un peu milité, c’est venu après. Plus j’allais, plus je me suis intéressé plutôt à venir après que pendant. Aller à Sarajevo après que c’était fini. Aller en Palestine quand ça commençait à finir: la révolution palestinienne et comme ça. Alors que tous les militants... À Cuba, en 68, il y avait une grande réunion des intellectuels pour fêter Castro et compagnie et j’étais invité aussi à l’époque. Et je n’ai pas voulu y aller avec les autres, j’y suis allé tout seul, pour moi, en payant mon voyage. Enfin, des choses comme ça. Toujours après, après.
D. : Je crois que ce n’était pas toujours le cas. Par exemple, Raoul Coutard raconte qu’en faisant Passion vous vouliez "faire chier" Giscard d’Estaing...
JLG : Pff ! Peut-être que je disais ça. Mais Raoul, il ne comprenait pas très bien sûrement. Et enfin, il avait ses propres interprétations. C’était un ancien d’Indochine comme Schoendoerffer ou comme ça. Je me souviens que sur Pierrot le Fou, moi, c’était pas très net, mais il détestait aussi bien les Juifs que les Arabes. Il avait une petite préférence pour les Juifs contre les Arabes, mais il détestait les deux. (Il rit.)
D. : Si je ne me trompe pas, au début, vous vouliez faire sortir Soigne ta droite avant les élections législatives de 86.
JLG : Ah, peut-être.
D. : Et il devait y avoir deux policiers comme protagonistes : l’un de gauche et l’autre de droite.
JLG : Je ne me souviens pas. Mais c’était extérieur. J’ai beaucoup de retard sur beaucoup d’autres gens. J’ai commencé le cinéma vers trente ans seulement, et pour moi, ma vie ou mes pensées ont toujours été en retard par rapport au cinéma. Сomme, si c’était un train, le cinéma était la locomotive et la politique, tout ça, était le dernier wagon. C’est à partir de Mozart et surtout de Film Socialisme que ça commençait à être les deux ensemble. Dans ma vie personnelle aussi, сomme ma vie personnelle a rejoint ma vie cinématographique.
D. : À la fin de For Ever Mozart, on voit comment l’art pur, l’art pour l’art, triomphe de l’art dit engagé (je veux dire Vicky avec son Boléro fatal). Est-ce une ironie ?
JLG : Je ne sais pas.
D. : Est-ce que vous croyez que l’art trop attaché à l’actualité politique porte un échec en lui-même ?
JLG : Oui, je pense comme ça. Dans... c’est dans quel film ? Je ne me souviens plus de ce film qui s’est passé à Sarajevo... Notre musique, oui. Il y a un philosophe peu connu, qui s’appelle Jean-Paul Curnier. Il vient d’écrire un livre très intéressant qui s’appelle Démocratie pirate [4], je ne sais pas s’il est publié déjà, où il raconte que la vraie démocratie a existé à l’époque des pirates. Entre eux, comme ça. Ou sur les navires, entre marins qui se révoltaient, qui devenaient des pirates dont Hollywood a fait des dizaines de films, genre Les Révoltés du Bounty, qui ont fini en Polynésie avec des filles et des trucs... (Il rit.) Mais il y avait ce qui n’existe pas aujourd’hui. À un moment, j’ai fait dire à Curnier une phrase d’un contemporain de Sartre, qui est moins connu, qui s’appelle Claude Lefort et qui disait...
D. : "Les démocratie modernes..."
JLG : Voilà. "Les démocratie modernes, en faisant de la politique un domaine de pensée séparé, prédisposent au totalitarisme." C’est des phrases qu’aujourd’hui on appellerait des phrases-clés, si vous voulez. Mais moi, j’aime bien toujours dire que c’est peut-être des phrases-serrures, ce n’est pas des phrases-clés. Parce que quand on dit: "C’est la clé", "la clé des songes"... même Freud, il oublie toujours la serrure. C’est-à-dire il oublie l’image.
D. : Dans Adieu au langage, vous citez aussi Jacques Ellul qui parle de la deuxième victoire d’Hitler au moyen de la technique et des techniciens. Vers la fin du film, vous y mettez un dialogue de Frankenstein, où le protagoniste refuse, malgré les menaces, de créer un autre monstre (on pourrait dire: un monstre technique). Et quelques minutes plus tard, on voit un dessin de la croix de Lorraine qui est le symbole de la Résistance.
JLG : Oui, c’était le symbole de de Gaulle, avant d’être de la Résistance.
D. : En tout cas, vous vous inscrivez ainsi dans la Résistance, mais par le biais de l’art.
JLG : Oui, oui.
D. : Ça me fait penser à Jean-Marie Straub qui croit que la musique abstraite de Webern est plus politique que celle de Berg (avec son Wozzeck), et qui compte parmi ses films les plus politiques Chronique d’Anna Magdalena Bach.
JLG : Oui, je comprends. Il habite ici, Jean-Marie Straub.
D. : Où ça ?
JLG : Il habite à Rolle. Il est peut-être très malade, je sais pas. Il a une amie qui vit avec lui depuis la mort de Danièle Huillet. On s’est vus un petit peu, puis après on se voit moins parce qu’en fait, on n’a pas grande chose à se dire. Il m’envoie de temps en temps ses films.
D. : Est-ce que vous les appréciez, ses nouveaux films ?
JLG : J’apprécie son travail, contrairement à d’autres. Je trouve que c’est plutôt un sculpteur qui taille la pierre. Ce qui me gêne, c’est qu’il part toujours de textes, mais le texte est comme de la pierre, et il filme la pierre qu’on frappe. C’est ce qu’il me semble. Il a fait un petit film sur Montaigne que des gens trouvent nul et insupportable avec toujours ces plans interminables où il se passe rien. (Il rit.) Mais je trouve que c’est un sculpteur qui a un côté Michel-Ange aussi. Si je fais la critique aujourd’hui, c’est avec ce langage dont je cherche à me débarrasser, eh bien, je dirais ça.
D. : Il y a ceux qui cherchent à "purifier" le cinéma, à le délivrer de toute influence des autres arts: se passer de la musique, s’éloigner de la peinture etc. Vous faites plutôt le contraire, votre cinéma est une sorte de carrefour des arts.
JLG : Oui, on peut dire ça comme ça.
D. : Et parfois vous brouillez des frontières entre eux, en comparant Notre musique à un livre, en définissant Film Socialisme comme une symphonie en trois mouvements ou en disant de Tentative de bleu, votre nouveau projet, qu’on est dans la sculpture. Est-ce vraiment un film pour trois écrans ?
JLG : Pas pour l’instant. Peut-être, si j’arrive à le finir comme ça, on essaiera après de le raccourcir. Mais de le raccourcir en le faisant mettre en trois écrans, c’est-a-dire en divisant par trois. (Il rit.) Et d’en faire un... comment est-ce qu’on appelle ça ? une installation ou une exposition sur trois écrans, ce qui est très facile. Plutôt que de le mettre comme ça, parce que ça me gêne que l’écran reste plat. On a perdu... Enfin, c’est normal, ça évolue, mais on a perdu un peu la sensation d’espace, beaucoup même, qu’il y avait dans les premiers films avant la Deuxième Guerre mondiale. Tout est devenu plus à plat, si vous voulez, et très différent de la peinture. Une bonne photo à un moment parle mieux qu’une image. Même les travellings: je me souviens de la phrase de Cocteau qui disait que faire un travelling était complètement idiot parce que ça rendait l’image immobile.
D. : Est-ce que maintenant vous montez au fur et à mesure du tournage ?
JLG : Pas tout à fait. Des fois, enfin... Là, maintenant, je prends des.. au lieu de faire un scénario, plutôt ce que les Américains appellent "storyboard", mais pas du tout dans l’ordre, dans le truc un peu inconscient. Comme un peintre. Les peintres classiques faisaient des esquisses avant. Souvent, j’aime beaucoup mieux les tentatives, les préparations de Delacroix que ses grands tableaux, parce qu’on sent quelque chose qui va bouger. Ensuite, le grand tableau, il est statique, et on met des mots dessus. On dit: "La Liberté guidant le peuple". Mais avant, quand il dessine comme ça, on peut sentir que la liberté est au travail.
D. : Alors, vous n’avez encore rien monté pour votre nouveau film ?
JLG : Là, je commence. D’après ce que j’appelle une idée de scénario, une tentative de scénario, mais qui n’est fait qu’avec des photos, si vous voulez. Autrefois, ils faisaient aussi souvent ça. Je sais que pour ses premiers films en Amérique, Fritz Lang faisait des reportages sur la région ou sur des trucs, puis le scénario venait. Mais il n’essayait pas d’écrire quelque chose. Peut-être, plutôt comme un musicien, si vous voulez, qui travaille à son piano avant d’écrire sa symphonie, parce que, quand il l’écrit, il écrit. C’est pour ça que j’ai toujours bien aimé le free jazz sans arriver à le supporter vraiment. Mais parce qu’il y avait rien d’écrit.
D. : Est-ce que Tentative de bleu est toujours le titre ?
JLG : Non, ça s’appelle simplement Image et parole. Et puis, entre parenthèses: "Papyrus". C’est comme si on trouvait un vieux papyrus où tout est collé ensemble. Ces deux cinéastes italiens, ils font des films comme ça, où on voit des fois des morceaux de film 35 mm simplement. Ils regardent image par image, c’est-à-dire c’est une découverte archéologique qui permet de trouver certains détails de... un vase brisé et comme ça. Et puis, vous savez, avec leurs pinceaux, les archéologues, ils frottent et puis ils voient. Ça fait penser à ce qui s’appelle "les fouilles archéologiques" et qui leur permet de trouver qu’autrefois il y avait une ville ou autrefois il y avait ça, etc. De faire ces sentiments-là, le réel. Aujourd’hui, je fais ça. Un truc que je trouve stupide, c’est tous les films qui passent là, au festival de Nyon, à côté... (Il rit.)
D. : Il y a un festival de Nyon ?
JLG : Oui, qui s’appelle Visions du Réel.
D. : Ce dont vous parlez est souvent désigné sous le terme anglais found footage.
JLG : Found footage, bah voilà.
D. : Par exemple, il y a quelques réalisateurs autrichiens qui travaillent dans ce genre.
JLG : Quels réalisateurs ?
D. : Gustav Deutsch ou...
JLG : Je ne le connais pas. Moi, je ne vois presque rien. Ici, quelquefois dans un journal je vois qu’on parle d’un film, et je demande une copie, je demande si je peux avoir un DVD pour regarder, pour me tenir un peu au courant. Ce que Anne-Marie ne fait plus du tout.
D. : Et comment les choisissez-vous, ces films ?
JLG : Bah, je me dis: "Là, il y a peut-être..." J’espère trouver (c’est un peu utopique ou nostalgique) quelque chose qu’autrefois, à l’époque, on découvrait, plus ou moins à tort, et on en faisait d’énormes phrases dans les Cahiers du cinéma. Mais il y avait... Tout à coup, on s’est dit: "Ah, ça, c’est possible", par rapport au cinéma français dans lequel on avait été élevé. Moi, je suis venu assez tard par rapport à d’autres, par rapport à Truffaut, Rivette ou Rohmer. Moi, je suivais, je regardais, je ne disais rien.
D. : Mais A bout de souffle est sorti moins d’un an après Les quatre cents coups. Pas beaucoup plus tard.
JLG : Non, non, mais après. Disons, on est plutôt deuxième.
D. : L’ancien titre de votre nouveau projet, Tentative de bleu, fait penser à la peinture.
JLG : Oui, je pense qu’il y aura la référence à la fin à la peinture, mais ce n’est pas très net. Parce que je fais une très longue introduction. Un peu comme si avant de voir la main, on voit séparément les cinq doigts et après on voit la main, seulement. Alors, je fais cinq éléments: la guerre, les voyages, la loi, d’après Montesquieu, L’Esprit des lois... et puis un, le dernier, qui s’appelle La région centrale en souvenir d’un film underground américain, et puis après la main. Alors, la main, c’est une petite histoire d’après un livre qui me semblait intéressant, que j’appelle L’Arabie heureuse. "L’Arabie heureuse" c’était un terme qu’au XIXe siècle utilisaient les voyageurs (Alexandre Dumas, par exemple) pour parler de cette région du monde, Moyen-Orient, qui est aujourd’hui en détresse. Et j’ai l’histoire d’un... Comme on n’a pas trouvé de pétrole, les gens veulent rester chez eux [5]. Mais quand même le chef a envie d’envahir tous les autres pays arabes qui trahissent [6] et tout ça. Et il fait une fausse révolution qui ne marche pas, puis après tout revient pareil. Je tourne sans acteurs. Je veux pas d’acteurs. On entend des passages du livre, il y a un narrateur qui raconte comme s’il lisait des passages du livre, et on comprend un peu l’histoire qui est une espèce de fable.
D. : Donc, il n’y aura pas du tout d’acteurs ?
JLG : Non, pas du tout, aucun. Par exemple, mon collaborateur Jean-Paul Battaggia me disait: "Tiens, pour dire tel texte vous pourriez prendre Jean-Pierre Léaud, ce serait bien." Et puis, moi, je disais: "Non, parce que ce serait un acteur qui joue un texte, et il faut pas d’acteurs." Alors, soit je dirai comme ça, soit je trouverai un inconnu.
D. : Vous avez mentionné Léaud et ça m’a fait penser à Anne Wiazemsky et à un projet très étrange qui la concerne. Est-ce que vous êtes au courant que Michel Hazanavicius...
JLG : Oh, je ne veux pas en entendre parler. Ça me fait de la peine. Mais je m’en fiche, oui.
D. : Cette idée me semble stupide.
JLG : Oui, oui. Mais c’est le même producteur, Wild Bunch, qui a fait mes derniers films. Ils n’ont pas même osé m’en parler. (Il rit.) C’est stupide.
D. : Mais vous ne pouvez rien y faire ?
JLG : Bah non, c’est les gens, les gens sont libres.
D. : Suivez-vous ce qui se passe dans l’art contemporain ?
JLG : Non, pas du tout.
D. : Je veux dire depuis quarante-cinquante ans. Disons, après la peinture.
JLG : Non.
D. : En gros, on peut dire que l’art contemporain privilégie l’idée et congédie la forme, ou plutôt le beau. À quel point est-ce que le beau est important pour vous ? Cherchez-vous consciemment la beauté ?
JLG : Non, plus maintenant. Enfin oui... je ne sais pas, certain rendu, mais pas forcément. Parce que dans tous ces trucs modernes, quand j’en vois, je trouve que les mots viennent avant, et puis ensuite vient l’exécution. On dit: "On va faire une installation qui dit ça." Ce que fait Agnès Varda maintenant, ou ce que faisait... comment elle s’appelle ? cette cinéaste belge qui est morte, j’ai oublié... Chantal Akerman. Mais ce ne sont que des mots. Ça ne va pas.
D. : J’aime la définition de la beauté donnée par le compositeur Helmut Lachenmann: "La beauté, c’est le refus de l’habitude." Je crois qu’on peut appliquer cette phrase à ce que vous faites, surtout depuis Film Socialisme.
JLG : Oui.
D. : Dans Notre musique, une étudiante bosniaque vous demande si les petites caméras numériques pourront sauver le cinéma. Est-ce que vous envisagiez déjà à l’époque la possibilité de les utiliser ?
JLG : A l’époque ça n’existait pas, hein ? Mais j’ai très vite... J’aimais bien... On prenait plutôt des choses plus petites comme le 16 mm ou tout ça. D’être plus simple, plus petit. Aujourd’hui, on est trois pour faire le film. Ça suffit. S’il fallait... J’aurais bien aimé faire (mais c’était à l’époque) un film à Hollywood. J’ai essayé, mais ça n’a jamais marché...
D. : The Story ? [7]
JLG : Oh, bien avant. Ce qui me plaisait, c’était de faire un film d’après un livre qui avait du succès. J’ai dit à un producteur américain: "Oui, j’aimerais bien faire un film mais je serais juste metteur en scène. Vous choisissez les acteurs, vous choisissez le décor, vous choisissez tout. Moi, je fais juste la mise en scène. Le reste, je ne m’en occupe pas." Et il n’a pas voulu.
D. : C’était quand ?
JLG : Oh, c’était il y a une dizaine d’années.
D. : Pourquoi vouloir vous imposer cette contrainte ?
JLG : Bah, pour essayer de faire avec ce qui reste. Mais par rapport à la fatigue aussi, à l’âge. Vous savez, c’est fatiguant de toujours courir et faire trop, ça ne m’intéresse plus, j’en ai plus envie. Déjà à trois c’est fatigant, parce que les deux autres sont des amis et sont très précieux pour toute la vie, mais en ce qui concerne la discussion un peu sur le cinéma, il n’y en a pas. Ça manque. Donc, on discute avec soi-même dans ces cas-là. Mais au bout d’un moment, c’est l’habitude aussi. (Il rit.)
D. : Peut-on dire que ces petites caméras numériques vous fournissent ce que vous vouliez obtenir avec l’Aaton 35-8 ? [8]
JLG : À l’époque, oui.
D. : Faire plus petit...
JLG : Oui. Plus petit de qualité ? Aujourd’hui, ça m’est égal. Le film que je fais... Comme c’est plutôt de l’archéologie, je ne me soucie pas de la qualité de l’image.
D. : En somme, vous traitez le numérique de deux façons. D’une part, vous partez de ses défauts pour créer de riches textures, ce qu’on peut appeler l’expressionnisme numérique…
JLG : Oui.
D. : Et de l’autre, vous l’utilisez de manière normale, vous continuez à faire ce que vous faisiez avant, en 35 mm. Est-ce qu’on peut imaginer donc un film comme Notre musique tourné en numérique ?
JLG : Oui, oui, on aurait pu.
D. : Maintenant, ça vous est égal ?
JLG : Maintenant, ça m’est égal, et puis avec le numérique, on demande très peu d’argent. Pour le prochain film, le producteur, Wild Bunch, donne trois cents mille euros. Voilà, c’est tout. Et alors, avec trois cent mille euros, il faut le livrer au bout de deux ans (ça laisse un peu le temps: un an pour faire les cinq doigts et puis un an après pour faire la main). Et puis, si ça suffit pas, ce que je gagne quelquefois comme argent en France avec les revenus des films qui passent à la télévision, je redonne au producteur, je lui demande pas de rembourser. C’est-à-dire qu’avec trois cent mille euros il faut vivre à trois et faire le film pendant deux ans. Alors, si je paye les trois personnes, y compris moi, sur l’argent du film, ça fait neuf mille euros par mois. Et si c’est pendant deux ans, ça fait 24 fois neuf mille. Donc, il ne reste rien pour le film. Donc, je dois donner, heureusement qu’il y a un peu, ce que j’ai en plus au producteur. Je ne veux rien demander au producteur. Voilà, donc, c’est ça, l’économie du film. Et ce serait intéressant de savoir que dans l’économie réelle ça peut se faire comme ça aussi.
D. : Mais au niveau de l’image: de la lumière, de la profondeur de champ, c’est un peu différent, 35 et numérique, non ?
JLG : Oui, oui. Puis, ça dépend si on éclaire ou si on n’éclaire pas. Moi, je me sers uniquement de ce qui existe. J’essaie de toujours le garder. Mais même avec les deux, avec Jean-Paul et Fabrice, c’est difficile parce qu’ils ont les traditions de l’équipe, et quand ils arrivent, ils posent leurs affaires partout. Et je leur dis: "C’est un décor, il ne faut rien toucher, il faut aller mettre vos affaires plus loin." [9] (Il rit.) Mais il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas faire. Et qu’on ne cherche pas à faire, c’est tout.
D. : Pourquoi avez-vous changé le format d’image ? [10]
JLG : Pour faire comme la télé maintenant, c’est tout.
D. : Mais à l’époque vous avez envoyé aux Cahiers du cinéma une feuille avec deux images de Notre musique comme projetées dans les 3 formats différents. Vous vouliez montrer comment le 16/9 satellisait une personne et dissimulait la vérité.
JLG : Oui, ce n’est pas un bon format. Mais c’est le format réel d’aujourd’hui. Je veux dire qu’autrefois les peintres, ils peignaient avec ce qu’ils avaient à disposition. Quand on a inventé les tubes de peinture, ça a beaucoup changé, l’impressionnisme etc. Donc, on fait rien que le réel. Peu importe... Et puis ensuite, si je mets le film en DVD, ça passe normalement, on ne critique pas. Tandis qu’en salle il y a trente six... Même la télé : il n’y a pas un téléviseur qui fasse pareil que l’autre. Donc, on n’y peut rien. Il faut tâcher qu’il reste une chose et c’est cette chose qu’on doit choisir au départ et chercher, si vous voulez.
D. : Au début d’Adieu au langage, on voit un objet mystérieux avec des éléments d’une caméra 3D. Il apparaît pendant quelques secondes à la lumière d’une torche qui bouge sans cesse, et puis, vers la fin, il se trouve sur la couverture d’un livre de Van Vogt. Et c’est vous qui l’y avez mis, la vraie couverture est différente.
JLG : Oui, c’est une autre image que j’ai mise sur la couverture du Van Vogt. Pour qu’il y ait le titre.
D. : Pourquoi avez-vous fait ça ?
JLG : Parce que ce qu’il y avait sur la couverture, ne me convenait pas. Tandis que là, c’était une image (je ne sais pas d’où elle venait) d’un totem indien ou comme ça. Je trouvais qu’elle était mieux. Si c’était moi qui avait édité un livre, j’aurais fait ça. (Il rit.)
D. : On connaît beaucoup de tandems réalisateur/chef opérateur. Dans les années 60, c’était aussi votre cas avec Raoul Coutard. Je crois que Fabrice Aragno, lui aussi, restera longtemps à vos côtés, d’autant plus qu’il n’est pas seulement un opérateur.
JLG : Bah, il fait un peu tout. Il fait le montage final (d’un point de vue technique). Ou des fois je lui laisse faire, je lui dis: "Faites à votre idée", et puis ça me donne d’autres idées. Ou bien on garde et puis, disons, il régularise la chose pour la livraison. Au tournage, il fait aussi bien le son que l’image comme quelqu’un en documentaire. Ça me surprend toujours, les documentaires: quand on voit le journaliste qui parle et puis l’opérateur qui filme tout ça, je ne sais pas pourquoi soit l’un, soit l’autre, ne fait pas les deux en même temps.
D. : C’est pourquoi vous ne travaillez plus avec François Musy ? [11]
JLG : Non, ça fait longtemps. Ça ne me va pas parce qu’il fait du classique. Ça s’est séparé... On a eu de très bonnes relations, très bien travaillé ensemble, et puis après... Je vous montrerai: là, je travaille encore avec du très vieux matériel qui ne marche souvent pas ou pas très bien. Je pourrais, plutôt que de prendre 7 ou 8 machines qui remplissent la pièce (c’est du matériel qui date d’il y a 10, 15 ans), apprendre à me servir d’une tablette et des trucs de montage qui ont tout ça, je ne sais pas... Même Fabrice, il me propose de me servir d’un logiciel qui fait du montage aléatoire. Donc, il n’y a plus rien à faire, puisque c’est lui qui fait. Mais ce n’est pas... Non.
D. : Mais Musy travaillait en tant qu’ingénieur du son encore sur Film Socialisme.
JLG : Oui, c’est la dernière fois. Parce qu’on tournait en... Je ne me souviens même plus. Oui, il faisait le son, parce que pour l’épisode du garage je voulais un bon son. Enfin, qu’on comprenne bien. Je n’étais pas très sûr de moi. Lui non plus. Puis, Fabrice n’était pas vraiment là encore, si vous voulez.
D. : Pendant ces 35 dernières années, vous avez travaillé avec plusieurs directeurs de la photographie, comme, outre Coutard, William Lubtchansky, Caroline Champetier, Julien Hirsch. Pourquoi les changiez-vous ? Pourquoi, par exemple, avez-vous rompu avec Coutard, bien qu’il ait fait du beau travail pour Passion et Prénom Carmen ?
JLG : Bah, on a fait beaucoup de films. Après, moi, j’allais ailleurs, et lui, il restait là où il était. Lubtchanski ou tout ça, pareil. Il y en a beaucoup, j’ai commencé avec eux. À des moments... Lubtchanski, il avait un assistant qui était Caroline, Caroline avait un assistant qui était Julien, bah voilà, on passait... Puis après, ça s’est arrêté. (Il rit.)
D. : Des fois, vous laissiez Caroline Champetier seule sur le plateau. Vous l’avez même envoyée à Moscou pour tourner une scène de Les enfants jouent à la Russie.
JLG : Oui, oui, et elle a très bien fait. Parce que c’est quelqu’un qui voulait s’occuper de tout, qui parlait de tout, qui discutait de tout. Je lui ai dit: "Bah, tu veux ? Tiens, voilà un paquet d’argent. Vas-y, va en Russie et filme la mort d’Anna Karenina. Moi, je ne m’en occupe pas."
D. : Elle était terrifiée par ça.
JLG : Ah oui, sûrement.
D. : Et à propos de votre nouveau projet, vous avez dit qu’il faudrait aller à Saint-Pétersbourg.
JLG : C’était au début, avant que je commence. Parce qu’une séquence, la deuxième, le deuxième doigt, c’est d’après un vieux livre d’un écrivain français qui s’appelle... Vous voyez, je vois le livre, mais le nom ne vient pas... Qui était ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg à l’époque de Napoléon... [12]
D. : Joseph de Maistre.
JLG : Joseph de Maistre. Et c’est un livre sur la guerre qui est de droite, qui est complètement nazi [13]. Bon, bah enfin, je me suis servi de ça. Et je pensais à l’époque, c’était très, très différent, que j’irais peut-être à Saint-Pétersbourg, qu’on trouverait un jeune couple russe. Puis je ne sais pas comment... petit à petit, j’ai laissé tombé l’idée, voilà.
D. : Et dans quel délai pensez-vous finir le film ?
JLG : J’espère encore... à la fin de l’année, en principe. D’après le contrat. Mais on aura sûrement un peu de retard.
Entretien réalisé à Rolle le 22 mai 2016 par Dmitry Golotyuk et Antonina Derzhitskaya. Il a d’abord été publié en russe sur le site de la revue Séance.
Nous remercions chaleureusement Dmitry Golotyuk et Antonina Derzhitskaya de nous avoir permis sa publication. Les auteurs remercient pour leur part Fabrice Aragno et Julien d’Abrigeon.
[1] Voir également le scénario de Film Socialisme.
[2] Une référence à un dialogue de Film Socialisme entre Florine et son père: "Lorsqu’on entend le son de sa propre voix ça vient d’où ? Non papa, de là." (Elle pointe sur sa gorge.) Godard y cite librement une phrase de La Condition humaine d’André Malraux: "On entend la voix des autres avec les oreilles, la sienne avec la gorge."
[3] Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi.
[4] Le livre est paru en janvier 2017 chez les éditions Lignes sous le titre La piraterie dans l’âme : Essai sur la démocratie.
[5] Il s’agit du peuple d’un émirat fictif privé de ressources pétrolières.
[6] C’est-à-dire qu’ils ont cédé à la "grande puissance impérialiste" attirée par le pétrole.
[7] Un projet de film avec des stars américaines (comme Robert de Niro et Diane Keaton) datant de 1978 qui devait marquer le retour de Godard dans l’industrie du cinéma après de longues années politiques et vidéo.
[8] À la fin des années 1970, Godard a commandé à l’ingénieur et inventeur Jean-Pierre Beauviala une caméra qui devait être petite, légère et simple à utiliser comme le Super 8 tout en produisant des images en 35 mm "de la meilleure définition qui soit à l’heure actuelle pour le cinéma comme pour la télé". Il en a résulté l’Aaton 35-8 qui n’a pas tout à fait satisfait Godard et n’était utilisé que pour quelques plans dont ceux du ciel au début de Passion.
[9] Toutes les scènes d’intérieur dans Adieu au langage ont été tournées chez Godard.
[10] Film Socialisme et Adieu au langage sont les premiers films de Godard en 16/9 depuis des décennies.
[11] Un ingénieur du son, le seul membre presque permanent de l’équipe de Godard pendant plus de trois décennies, de Passion à Film Socialisme.
[12] En réalité, Il était ambassadeur de Sardaigne.
[13] Il s’agit des Soirées de Saint-Pétersbourg.