Balibar et l'errance (2)
Les errants ne sont pas une classe. Ils ne sont pas une race. Ils ne sont pas la multitude. Je dirais qu'ils sont une partie mobile de l'humanité, suspendue entre la violence d'un déracinement et celle d'une répression. Ce n'est qu'une partie de la population mondiale (et même une petite partie), mais hautement représentative, parce que sa condition concentre les effets de toutes les inégalités du monde actuel, et parce qu'elle porte ce que Jacques Rancière a appelé la "part des sans-part", c'est-à-dire le manque de droits qu'il faut combler pour qu'humanité rime enfin avec égalité. Il s'agit de savoir si l'humanité expulse de son sein cette partie d'elle-même, ou si elle en intègre les exigences à son ordre politique et à son système de valeurs. C'est un choix de civilisation. C'est notre choix.
Étienne Balibar, août 2018