Festivals d'été : Yellow Now, Wang Bing et le peuple honorés dans le Lot-et-Garonne
L'ami Leboutte nous envoie ceci.
Depuis l’an passé, les Rencontres de Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), intitulées « Cap aux bords », ont pris le relais des Rencontres de Laignes tout en conservant leur esprit. Désormais organisée avec la Ligue de l’enseignement du département, leur deuxième édition se tiendra du 6 au 12 juillet au cinéma l’Utopie, le bien nommé. [...]
Si, avec trois salles, la manifestation se veut à présent un peu plus festivalière (concerts, théâtre, performances, séances tardives en plein air), sur le fond le projet n’a pas changé et reste ce rendez-vous annuel de cinéastes et d’étudiants, de spectateurs actifs et d’artistes, choisissant de penser ensemble les conditions d’existence d’un cinéma moins académique et boursouflé, souvent réalisé avec les moyens du bord, à l’écart des formatages imposés par l’industrie. En un mot: « Défense et illustration d’un cinéma libre de droit et propriété de tous » pour des Rencontres qui se revendiquent clairement de l’héritage des « Sorbonne du peuple » de la fin du XIXe siècle et des grandes heures de l’éducation populaire.
Déjà présent à Laignes (où nul n’oubliera son cours de maniement de caméra, donné au jardin, sans pesanteur), Wang Bing sera cette année encore notre invité d’honneur, tout comme le cinéaste italien Mario Brenta, trop méconnu en France, et l’éditeur Guy Jungblut, à l’occasion des cinquante ans de sa maison d’édition, Yellow Now - un anniversaire que nous célèbrerons de manière drolatique. Nous rejoindront également tout au long de la semaine Alain Bergala, Jean-Denis Bonan, Claudine Bories, Maria-Lucia Castrillon, Guy Chapouilié, Karine de Villers, François Guerch, Jean-Charles Hue, Jorge Leon, Rosine Mbakam (en duplex depuis Yaoundé), André Minvielle (jazzman dadaïste qui donnera deux concerts), Mohamed Ouzine, Yvan Petit, Inger Servolin (principale collaboratrice de Chris Marker depuis 1968 et fondatrice d’Iskra), Claire Simon, Marie Vermillard et Loïc Villiot entre autres présences complices. Et la liste n’en finit pas de s’allonger.
De mon côté, je continuerai de faire vivre un séminaire quotidien où l’on débattra de deux questions cruciales: celle de l’indépendance au cinéma (animé avec Vincent Dieutre) et celle de la représentation du peuple à l’écran (animé avec l’ethnologue-poète Martin de la Soudière et le sociologue Jacques Lemière).
Pour suivre de manière vivante les dernières surprises du programme ou faire davantage connaissance avec nos invités: rendez-vous sur notre page Facebook (« Rencontres Cinématographiques en Lot-et-Garonne : Cap Aux Bords »). Elle est celle des membres fondateurs et amis des Rencontres de Laignes, à l’origine de la manifestation (ce qu’en termes révolutionnaires, on appelle le canal historique), et nous y publions régulièrement vidéos et textes inédits. Et si vous pouviez la liker (comme on dit) voire, mieux, la partager, cela m’aiderait à assurer la pérennité du projet par rapport à mes financiers.
Pour toute information pratique, connaître le détail du programme et surtout pour vous inscrire, consultez le site officiel des Rencontres, tenu par la Ligue de l’enseignement: CLIC (ou par mail capauxbords.cinema(at)gmail.com).
Comme chaque année, le camping, ouvert dès le 5 à midi, est gratuit, autogéré et sécurisé, à 8´ à pied du cinéma - il existe par ailleurs de nombreux hôtels à Villeneuve-sur-Lot (à 8 km de Sainte-Livrade) et d’autres possibilités précisées sur le site. Des repas pris tous ensemble sur la place du village, sous la halle, sans petit coin VIP, sont proposés midi et soir et cuisinés par les multiples associations locales: je puis vous assurer qu’on y mange bien et que c’est même un régal.
Vous connaissez mon travail et mon rêve, c’est celui d’une « commune EN cinéma », et forcément je vous espère et je vous attends, restant bien entendu à votre disposition.
Avec toute mon amitié, fidèlement. Patrick Leboutte
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ÉDITORIAL : PERDRE LE NORD
« Lorsque la vie et le monde laissent autant à désirer, il faut bien faire quelque chose. Il faut intervenir. » (Nicolas Bouvier, L’échappée belle). « Laissez dialoguer les films entre eux, ils ont des choses à se dire », avait coutume de rappeler Jean Rouch, avec son franc-parler imagé. Il n’avait pas tort: programmer une semaine comme celle-ci, c’est écrire, mettre des œuvres en rapport comme on pense un plan de table, les faire rimer, ricocher, rebondir, pour qu’elles s’éclairent mutuellement et nous éclairent par là même sur notre propre relation au monde. En ce sens, pas de cinéma non plus, du moins pas d’expérience durable, sans spectateurs capables de nommer ce qui leur arrive devant un écran. Cet exercice prend du temps, requiert de la patience, invite au plaisir des longs échanges permanents. Lors des Rencontres, nous discutons beaucoup et d’abord de la façon qu’ont les films de nous travailler, d’interroger par leur écriture et par leur forme tout à la fois notre part d’humanité et ce qui nous fonde chacun personnellement, raccordant ainsi bouts des uns, éclats des autres, dans un même espace commun. Pour nous, il n’est pas de séance de cinéma qui vaille sans prise collective de la parole, dans la salle puis sur la place, à l’air libre, parfois jusque tard dans la nuit. Telle est la première raison d’être de Cap Aux Bords, événement festivalier certes, mais d’abord école buissonnière et sauvageonne, inscrite dans la tradition de l’éducation populaire et des Sorbonne du peuple de la fin du XIXe siècle.
Qu’ont à nous dire les films que nous avons invités ? D’abord qu’ils nous regardent, mais qu’ils ne nous contrôlent pas, à la différence de la plupart des mises en scène médiatiques visant à nous faire accepter ce monde-ci; en un mot, qu’ils nous veulent du bien parce qu’ils nous considèrent et ne nous prennent jamais de haut. Ensuite, qu’au cinéma le peuple manque comme il commence à faire défaut dans la plupart de nos villes privatisées. Enfin, que le meilleur du geste cinématographique se déploie désormais dans une économie pauvre, parfois proche d’un art de la débrouille, à l’écart du spectacle industriel et de ses formatages imposés, et qu’en cela il nous ressemble.
En 1982, le critique Serge Daney écrivait que pour faire vraiment du cinéma, il fallait accepter de perdre le nord, autrement dit l’obsession de la maîtrise et la fascination du pouvoir: « Alors, tout ce qui est devant une caméra s’appelle le Sud » – ce que nous avons traduit par « Cap Aux Bords ».
Patrick Leboutte, critique de cinéma.