Lectures pour tous : Jean-Philippe Toussaint
« Peu à peu, je commençais à sympathiser avec le barman. [...] Lorsque j’allais prendre mon café, en fin d’après-midi, il nous arrivait de converser. Nous parlions de football, de courses automobiles. L’absence d’une langue commune ne nous décourageait pas ; sur le cyclisme, par exemple, nous étions intarissables. Moser, disait-il. Merckx, faisais-je remarquer au bout d’un petit moment. Coppi, disait-il, Fausto Coppi. Je tournais ma cuillère dans le café, approuvant de la tête, pensif. Bruyère, murmurais-je. Bruyère ? disait-il. Oui, oui, Bruyère. Il ne semblait pas convaincu. Je pensais que la conversation s’en tiendrait là, mais alors que je me disposais à quitter le comptoir, en me retenant pas le bras, il m’a dit Gimondi. Van Springel, répondis-je. Planckaert, ajoutai-je. Dierieckx*, Willems, Van Impe, Van Looy, de Vlaeminck, Roger de Vlaeminck et son frère, Éric*. Que pouvait-on répondre à cela ? Il n’insista pas. Je payai le café et remontai dans ma chambre. » [* Les coquilles sont dans l’édition originale.]
Jean-Philippe Toussaint, La salle de bain, Minuit 1985