Bas qui plissent et escalopes sur la figure
Guy Bedos [1934-28/5/2020] et Jean-Loup Dabadie [1938-24/5/2020], frères de sang
Bonne fête, Paulette... Je vais lui dire, à ma femme... [Baiser du bout des lèvres] Bonne fête, Paulette... Et je lui donnerai mon bouquet... Elle a horreur des fleurs... C’est justement... Je déteste ma femme... Alors... Je vois pas pourquoi je lui aurais offert des chocolats... Paulette adore les chocolats... Et moi j’aime pas Paulette... Alors... Soyons logiques...
J’avais pourtant bien précisé à ma mère... Je lui avais dit: « Je veux pas épouser Paulette. » Elle m’a répondu : « On parle pas à table. » Bon. Mon père non plus, il est pas fou fou de ma mère... Seulement, lui... Trente ans de mariage... Il a fait le plus gros... Et puis elle est moche... Paulette... L’autre jour je regarde ses jambes... Je lui dis : « T’as tes bas qui plissent. » Vlan... Elle me retourne une claque... Elle avait pas de bas... J’ai dit à ma mère : « Paulette est moche. » Elle me répond : « Paulette me ressemble »... Je lui dis : « Mais toi, tu es ma mère »... Elle me répond : « Paulette pourrait être ta mère. » Bon.
[Il examine son bouquet. Baiser. Il ricane.] Elle va faire une de ces têtes... Je m’en fous... J’aime pas sa tête... Elle va les mettre à la poubelle... Au prix où sont les fleurs... Surtout les grandes... Et ça fait pas plus de profit que les petites... Elle va les jeter, c’est sûr... Je m’en balance... Je les ai achetées avec l’argent des commissions... Elle m’a dit : « Remonte-moi des escalopes »... J’ai horreur des escalopes... Ça me dégoûte... Elle s’en met sur la figure... Elle se les enlève que pour sortir... Au prix où sont les escalopes... Hein... C’est que le veau... C’est pas donné... Sur la figure...
Dans un sens, si j’avais épousé une beauté... Je m’ennuierais... Il parait que les mannequins... Les actrices... C’est très très ennuyeux... Surtout le jour... Moi j’aime bien engager la conversation... Paulette, elle parle... Elle dit des bêtises... C’est normal... Parce qu’elle est bête... Mais c’est pratique... Parce que je comprends tout ce qu’elle dit... Vous savez, les filles intellectuelles... Il faut pas croire... C’est la barbe... Et sorti de la culture et de l’intelligence, elles ont pas grand-chose dans la tête non plus... Bonne fête, Paulette... [Il rit] Ça l’énerve que je l’appelle Paulette... Elle trouve ça commun... Son vrai nom c’est Germaine... Moi je l’appelle Paulette pour lui rabaisser son caquet... Ça l’agace... Elle est très très irritable... Très soupe au lait...
N’empêche que si je m’écoutais... Y a des soirs... Je la zigouillerais... Je la couperais en petits morceaux... Et on retrouverait jamais son cadavre... Seulement ça serait dans le journal... Avec sa photo... [L’air plaintif et misérable, soudain] Alors, écoutez... Le seul plaisir de ma journée... C’est boire mon petit crème le matin, tranquille, à la terrasse de chez Lulu... En lisant mon petit journal... Alors si c’est pour retrouver la photo de Paulette en première page... Alors, non... Écoutez... Non... Non... Bonne fête, Paulette... [Il sort]
[Jean-Loup Dabadie, 1964] [En scène : Guy Bedos]