Nos films préférés en 2020 : Thomas Gombowhicks
Top Parade 2020, sous la bénédiction de Sir Tatum que nous remercions de bien vouloir accueillir une nouvelle fois nos déviances. Once again, nous allons savamment doser un snobisme insupportable et des goûts douteux assumés avec une morgue incroyable mais qui a le mérite d’être sèche. Sans hiérarchie, ni ordre particulier
El abrazo de la serpiente (L’Étreinte du serpent), Ciro Guerra (Colombie etc., 2015)
Justified, Graham Yost, 6 saisons, (États-Unis, 2010-2015)
Merveilleuse série adaptée d’Elmore Leonard, véritable fresque policière de l’Amérique rurale (que l’on voit étonnamment trop peu dans les séries policières), dans laquelle l’environnement définit fortement le caractère des personnages et où l’héritage social a une importance dramatique. Drôle, intelligemment écrite, et avec un impeccable caractère « elmoreleonardien », c’est aussi une merveilleuse histoire d’amitié et de respect. We dug coal together.
Et comme c’est lié, il faut voir le documentaire Harlan County USA (Barbara Kopple, 1976), une leçon de lutte et de casse sociale.
Wattstax, Mel Stuart (États-Unis, 1973)
Sweet Sweet Badass Funkyyyyyy music.
La Raison du plus fou, François Reichenbach (France, 1973)
Entre 150 documentaires, Reichenbach s’amuse avec Devos (qui écrit le film et joue le rôle principal) à faire n’importe quoi, entouré de guest-stars de luxe. Ne pas être allergique aux jeux de mots est un plus pour accepter cette joyeuse galéjade.
Le Chaud Lapin, Pascal Thomas (France, 1974)
Autre frivolité, car l’entre-jambe de notre héros Bernard Menez chauffe à la vue de la moindre donzelle et, comme chez Rozier, vole le show, est grandiose, impérial et joyeusement paillard.
Le quattro giornate di Napoli (La Bataille de Naples), Nanni Loy (Italie, 1962)
Une nouvelle pièce à conviction à déposer à notre dossier « Italians do it better ».
Bound for Glory (En route pour la gloire), Hal Ashby (États-Unis, 1976)
Woody Guthrie est un géant, ses combats toujours actuels, ses chansons également. Le film d’Ashby est beau, digne, poignant.
Get Carter (La Loi du milieu), Mike Hodges (Royaume-Uni, 1971)
Ce qu’il y a toujours d’amusant et d’étonnant dans les polars de nos ennemis de la Perfide Albion, c’est qu’ils sont sales, violents, méchants, tout sent la crasse industrielle et l’humidité moisie (l’Angleterre, donc), mais tout le monde a une classe impériale (seul Michael Caine devrait être autorisé à porter cette atrocité que l’on nomme col roulé). La réalisation, le scénario, la DA, la musique. Un chef-d’œuvre du polar.
Songcatcher, Maggie Greenwald (États-Unis, 2000)
Librement basé sur Olive Dame Campbell qui, au début du XXe siècle, s’en alla dans les Appalaches et remarqua que sapristi la musique jouée par tous ses ploucs ressemblaient vachement aux chants écossais et irlandais, mais réinterprétés par des gens n’ayant plus aucun souvenir de l’origine de cet héritage rejoué sur des instruments peu communs (comme le banjo). Belle plongée dans le folklore de la musique américaine, où Greenwald (à la mise en scène merveilleusement subtile) peut compter sur le talent d’historien et de génie musical de son époux, le grand David Mansfield (qui a copiné avec tout ce que la musique américaine compta de meilleur dans les années soixante-dix, avant de pondre quelques grandes œuvres pour Michael Cimino – dont la musique de Heaven’s Gate, qui retravaillait déjà le folklore des immigrés de l’Est de l’Europe sur le continent américain).
Et comme nous sommes un tantinet complétiste, il existe un somptueux coffret de 5 CD édité en 2015 « Folksongs of Another America – Field Recordings from the Upper Midwest, 1937-1946 » chez Dust-to-Digital, qui permet de mieux retraverser l’histoire des États-Unis, par son côté folklorique.
(Maintenant, nous voulons le même genre de film sur le folk australien, c’est un peu la même trajectoire, sauf que c’était la musique des bagnards écossais et irlandais, et non de colons volontaires.)
Baaghi, Sabir Khan – Baaghi 2, Ahmed Khan – Baaghi 3, Ahmed Khan (Inde, 2016-2018-2020)
Ce n’est pas le meilleur du cinéma badaboum made in India, même pas encore le plus fou, mais la trilogie du un tantinet narcissique Tiger Schroff a enchanté mon premier confinement. Comme disait Monsieur Manatane : « Il n’y a rien de plus beau qu’une belle paire de muscles. » La preuve par l’exemple. Et merci à François F. pour tout son travail de défrichage sur ce cinéma incroyable.
Requiescant (Tue et fais ta prière), Carlo Lizzani (Italie, 1967)
Ouesterne, marxisme, révolution, Pasolini, vengeance et Lizzani. Je ne vois pas vraiment ce qu’il vous faut de plus.
De fem benspænd (Five Obstructions) Jørgen Leth & Lars von Trier (Danemark etc., 2005)
LvT demande à l’un de ses maîtres et héros de cinéma (Jørgen Leth) de refaire en cinq portions un de ses courts métrages (et film préféré de LvT au passage) avec à chaque fois des contraintes différentes. Galvanisante double psychanalyse et déclaration d’amour et d’admiration de Lars à Leth. On apprend également que La Collectionneuse de Rohmer, un des films préféré de Leth, est sorti au Danemark sous le titre Nymfomanen. BRAVO LARS.
Plus je (re)vois les films de LvT, plus je me dis que ce garçon fait les meilleurs feel-good movies de cette époque.
The Last Movie, Dennis Hopper (États-Unis, 1971) + The American Dreamer, L.M. Kit Carson & Lawrence Schiller (États-Unis, 1971)
« Un film est un documentaire sur son propre tournage », écrivait Leutrat et chez Dennis Hopper rien n’est plus vrai et visible, encore plus quand il plonge dans le méta-film, les mythes américains, l’Amérique du Sud et qu’il convoque les plus grands. Le documentaire de Carson et Schiller sur le cinéaste/acteur durant la post-prod de son film est un témoignage sur les extrémismes du grand Hopper.
Mor-vran [La mer des corbeaux], Jean Epstein (France, 1930)
L’Anabase de May et Fusako Shigenobu, Masao Adachi et 27 années sans images, Éric Baudelaire (France, 2011)
Adachi après les années de guérilla au Moyen-Orient, l’emprisonnement au Japon et la propagande par les faits. Le bus de la Révolution continue son chemin et se fait questionner par un intelligent Éric Baudelaire.
Città violenta (La Cité de la violence), Sergio Sollima (Italie/France, 1970)
Tijuana Bible, Jean-Charles Hue (France/Mexique, 2019)
Terror Nullius – A Political Revenge Fable in 3 Acts, Soda_Jerk [Dominique & Dan Angelero] (Australie, 2018)
Satire politico-féministo-végétarienne de l’histoire « officielle » australienne (depuis l’annexion de l’île par les rosbeefs en 1788), à travers un détournement du cinéma australien d’après-guerre, mais aussi de ses différents héros et vedettes (c’est pourquoi on retrouve Cate Blanchett dans Carol, Heath Ledger dans Brokeback Mountain ou un caméo sonore de Braveheart sur Mad Max 2). Réalisé par les sœurs Angelero, sous leur pseudo de Soda_Jerk, le film retravaille les mythes australiens et ses figures héroïques virilistes pour en prendre le revers et en faire donc une fable revancharde féministo-queer, dans laquelle tous les héros vont en prendre plein la moule, soit directement (Mad Max se fait dépouiller la gueule par le gang des BMX de Nicole Kidman, et je ne parle même pas du pauvre Mike Dundee), soit par des biais plus subtils (Humungus sort le discours d’hommes politiques, Elizabeth II fait un speech devant un parterre de costards-cravates qui n’y comprennent rien).
Film narratif, en trois actes, plein d’incrusts volontairement foireuses, dans lequel Priscilla la folle du désert va côtoyer le tueur de Wolf Creek et les gamines de Pique-nique à Hanging Rock et où les skinheads de Romper Stomper tabassent des migrants sur une plage en écoutant Holly Hunter au piano et où Mister Badabook est le cauchemar de la bonne société car il rend les enfants gays. C’est un gigantesque mash-up réjouissant et pointu (j’ai dû louper une bonne partie des références culturelles, mais j’ai bien reconnu Mel Gibson qui menace de mort son ex-femme au téléphone), une vraie charge politico-sociétale. Prévu pour être diffusé dans des centres d’art et des installations vidéo dans un cadre muséographique, le film n’a jamais été exploité en salles dans un circuit traditionnel.
Arcadia, Paul Wright (Royaume-Uni, 2017)
Film paresseusement et rapidement qualifié d’expérimental (car il y a du noir et blanc et de la distorsion !), Arcadia raconte et explore les territoires anglais et le rapport de ses habitants à ces derniers durant tout le siècle passé, par l’usage uniquement d’images d’archives et de films familiaux. Paganisme, industrialisation, guerre, violence sociale, lads. Survivre ou résister, une fois de plus ?
The Nightingale, Jennifer Kent (Australie/États-Unis, 2018)
Scandaleusement inédit en France, un grand film d’horreur, politique et historique. La Tasmanie, le début du XIXe siècle, les immigrés irlandais, les aborigènes et tout le monde est d’accord pour dire que l’Empire britannique c’est un sacré paquet d’enfants de putains.
« Breaker » Morant (Héros ou salopards), Bruce Beresford (Australie, 1980)
Dans notre série « Les Anglais sont vraiment des raclures », le procès de soldats australiens accusés d’avoir un peu trop sévèrement tué des civils sud-africains pendant la guerre des Boers, ce qui ne serait pas trop grave s’il n’y avait pas eu de témoins. Film de procès et de soldats où lors de cette fin terriblement poignante où deux condamnés s’en vont au peloton d’exécution en se tenant la main, car finalement face à l’absurdité de la chaîne de commandement et de la guerre, plus rien ne compte en dehors de la camaraderie et de la parole donnée.