Lionel Shriver, vent debout contre les maccarthystes du jour et autres censeurs
« Je continuerai de dire de ce tabou ridicule et inapplicable [le concept d’appropriation culturelle] qu’il s’agit d’une "mode", même si, comme celle des jeans taille basse qui grossissaient tout le monde sauf les anorexiques de seize ans, elle semble durer. Dieu merci, ces jeans sont passés de mode et avec un peu de temps, la fétichisation du tabou de l’appropriation culturelle le sera aussi.
« Tout ce tapage autour des revendications identitaires est propre à notre ère. Une fois que nous aurons enfin clos le chapitre cancel culture, il y a de fortes chances pour qu’avec le recul, il nous apparaisse calamiteux. La fièvre que soulèvent les questions de genre et de race fera figure d’hystérie collective, et nous la considérerons avec la même horreur que le maccarthysme. Ses zélotes apparaîtront comme les méchants. Les rares personnes qui auront défendu la liberté d’expression, la tolérance et la diversité des idées retrouveront un statut de héros. Malheureusement, au moment où ce revirement moral s’opérera, je serai sans doute morte depuis longtemps. [...]
« Je me suis toujours attachée à créer les personnages de mon choix. Mais lorsque je crée un personnage noir par exemple, une certaine catégorie de critiques va passer au crible le portrait que j’en fais, les paroles que je mets dans sa bouche, en quête du moindre affront. Si on tient à être offensé, on peut toujours trouver un motif de l’être. Je subis effectivement des pressions éditoriales m’incitant à me conformer à des recommandations de plus en plus contraignantes. La transcription d’un accent quel qu’il soit met les éditeurs sur les dents; l’usage de l’anglais parlé par les Noirs dans un dialogue leur donne des crises d’angoisse. Ils prennent très au sérieux de fausses règles stupides qui voudraient qu’on ne puisse pas utiliser des termes relatifs à la nourriture pour décrire un personnage non blanc (ils ont l’air de penser que dire d’un personnage qu’il est "couleur café" pourrait conduire à l’arrestation de l’auteur). La plupart de ces "règles" ne sont pas si restrictives que cela sur le plan artistique, mais je refuse qu’on me dicte ce que je peux ou non écrire. C’est déjà assez difficile d’écrire un bon roman sans avoir à se demander sans arrêt: "Oh, non, est-ce que je peux dire ça ? Faut-il que je demande l’autorisation de l’écrire ? Et s’il me faut une autorisation, comment l’obtenir ?" » Lionel Shriver, entretien avec Florence Noiville publié dans Le Monde, 22/09/2021]
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Dernier livre paru en français