Les jambes de Brigitte, les mères d'Angers et la jeunesse en embuscade
« L’autre jour, en ouvrant un journal, j’ai appris qu’une délégation de parents de la ville d’Angers était venue demander au préfet d’interdire la projection de mon film Et Dieu créa la femme... Motif: ils craignaient que ce film n’engage leurs enfants sur la voie dangereuse empruntée par d’autres J3 tristement célèbres.
« Je demeurai quelque peu ébahi d’apprendre que la vue d’une femme dénudée pouvait inciter des jeunes gens à voler des voitures et à assommer des voyageurs dans les trains.
« Je me suis dit que certains parents devaient se trouver bien désorientés pour faire endosser à une paire de jambes trop voluptueuses la responsabilité de la crise d’amoralité et d’"asocialité" de leurs enfants. Pour ma part je vois, entre la nouvelle génération (dont je ne fais presque plus partie déjà... hélas!) et ses aînés, un divorce provoqué d’abord par une façon différente de voir, de penser, de ressentir... Ce n’est pas une bouderie passagère, c’est un grand voyage. Ce n’est pas de la colère, ce n’est pas de la révolte, c’est un sentiment de détachement, d’éloignement, de solitude et parfois de dégoût – de dégoût contre personne, de dégoût contre la société. Mais cette société pour l’instant appartient toujours aux aînés. Quand la nouvelle génération arrivera à sa maturité sociale, elle réservera une grande surprise. Du moins je le crois.
« Je conseille aux mamans d’Angers de chercher ailleurs que dans mon film un sujet d’inquiétude pour l’avenir de leurs enfants. Ils peuvent même aller le voir (je ne touche pas de pourcentage). Ils peuvent même aller voir des films policiers. Là au moins, on sait qui est le mauvais, qui est le bon, et on est sûr que le mauvais sera puni. C’est excellent pour la santé de l’esprit. [...]. »
Roger Vadim, « La jeunesse nous prépare une suprise »,
L’Express, 7 août 1957.