Céline va au cinéma
Avec le style délicat et la mauvaise foi qui le caractérisent, Louis-Ferdinand Céline dézingue les romanciers de son temps pour faire l’éloge du cinéma. Nous sommes en 1955, c’est extrait des Entretiens avec le Professeur Y.
« Écoutez bien ce que je vous annonce : les écrivains d’aujourd’hui ne savent pas encore que le cinéma existe !... et que le cinéma a rendu leur façon d’écrire ridicule et inutile... péroreuse et vaine !... [...] Parce que leurs romans, tous leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste... leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !... le cinéma a pour lui tout ce qui manque à leurs romans : le mouvement, les paysages, le pittoresque, les belles poupées, à poil, sans poil, les Tarzan, les éphèbes, les lions, les jeux du Cirque à s’y méprendre ! les jeux de boudoir à s’en damner ! la psychologie !... les crimes à la veux-tu voilà !... des orgies de voyages ! comme si on y était ! tout ce que ce pauvre peigne-cul d’écrivain peut qu’indiquer !... ahaner plein ses pensums ! qu’il se fait haïr de ses clients !... il n’est pas de taille ! tout chromo qu’il se rende ! qu’il s’acharne ! il est surclassé mille !... mille fois ! » [cité par Clément Rosset dans Propos sur le cinéma, (« L’autre réalité », 1983) Puf.]