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11 décembre 2022

Bastien Vivès, dessinateur, vs. les réseaux sociaux

Encore une histoire consternante qui nous désespère de l'époque que nous traversons.
Souhaitons qu'Angoulême et Casterman ne lâchent pas Bastien Vivès.

bastien vivès

Dessins de Bastien Vivès mis en cause:
le Festival d’Angoulême sous pression

Attaqué pour des dessins jugés pédopornographiques et misogynes, victime de harcèlement avant son exposition au festival d’Angoulême, l’auteur de Lastman et de Petit Paul dénonce la confusion entre bouffonnerie et apologie. Son éditeur et le festival, qui lui consacre une exposition, dénoncent des tentatives de censure.


Article de Eve Beauvallet paru dans Libération le 9 décembre

« On va s’écharper sur du Marc Lévy maintenant, c’est ça l’idée ? » Au téléphone, Fausto Fasulo soupire de « tristesse » devant ce qu’il prend pour une vaste entreprise de purification de l’art. Jamais le codirecteur artistique du Festival international de bande dessinée d’Angoulême (FIBD) n’aurait cru devoir un jour défendre un auteur « cloué au pilori » non pas pour des actes, mais pour des fantasmes supposés et des dessins. Aucune espèce d’accusation de violences sexuelles ne pèse sur Bastien Vivès, auteur de bande dessinée programmé cette année au festival, mais son œuvre l’incriminerait. Depuis quelques semaines, en effet, une vague d’indignation enfle sur les réseaux sociaux à l’encontre d’un travail jugé suspect, majoritairement applaudi par un lectorat féminin à ses débuts, mais « puant l’inceste et la pédopornographie » à en croire un post Twitter très relayé. Un autre: « [Bastien Vivès] continue à être vu et traité médiatiquement comme un ado turbulent et talentueux. Alors que c’est un réac de 40 piges dont certaines œuvres participent activement et en plein jour à la banalisation de la pédophilie et à la culture du viol. » D’autres l’accusent de pédophilie, appellent au saccage de l’exposition et menacent l’intégrité physique de l’auteur, qui a déposé une main courante et n’exclut pas de porter plainte pour diffamation. Le 8 décembre, il racontait cette campagne de « harcèlement » en une série de strips à l’humour noir sur son compte Instagram.

Principalement connu du grand public comme coauteur du best-seller Lastman ou pour sa BD sur le milieu de la danse classique Polina (Casterman), Bastien Vivès, starisé très jeune, a également amusé ou révulsé une galerie plus « underground » avec des BD porno-bouffonnes vendues sous blister comme Les Melons de la colère (les Requins marteaux) ou Petit Paul (Glénat), ouvrages mettant en scène les tabous et situations sexuelles les plus tordues de manière outrancière. Ces livres surréalistes, tout un chacun est libre de les « trouver malaisants et de mauvais goût », concède Fausto Fasulo, mais leur caractère « grotesque, rabelaisien » empêche absolument de les confondre « avec une quelconque forme de banalisation de crimes sexuels ou d’incitation ». A croire que si.

En 2018 déjà, sa bande dessinée Petit Paul, publiée dans « Porn’Pop », collection pornographique lancée par Glénat et dirigée par Céline Tran (ex-Katsuni), avait relancé le marronnier « peut-on rire de tout ? » et fait l’objet d’une pétition: « Présenté par son auteur comme un livre humoristique, mais se voulant excitant car basé sur ses fantasmes, Petit Paul montre les péripéties d’un enfant de 10 ans avec un énorme pénis que vont utiliser bon gré mal gré les femmes de son entourage », indique le texte, rappelant que l’article 227-23 du code pénal interdit les représentations à caractère pornographique de mineurs. Les éditions Glénat avaient fermement réfuté l’accusation par communiqué, rappelant en creux deux critères nécessaires à la qualification de « pédopornographie »: le réalisme et l’incitation. « Aussi obscène et provocatrice qu’on puisse la considérer, cette œuvre de fiction (est) une caricature, dont le dessin, volontairement grotesque et outrancier dans ses proportions, ne laisse planer aucun doute quant à la nature totalement irréaliste du personnage et de son environnement. » L’œuvre avait néanmoins été retirée des rayons de Cultura et Gibert Joseph.

Cette fois, le filet de gazole est né de l’annonce, par le FIBD, d’une exposition carte blanche d’originaux sur papier, « Dans les yeux de Bastien Vivès », prévue pour fin janvier. Une visibilité, « proportionnelle à la place qu’occupe l’auteur sur la scène internationale », défend le festival, qui présente par ailleurs cette année des expositions de plusieurs autrices.

L’essence n’a pas manqué de se répandre jusqu’à la réalisatrice Charlotte Le Bon, en pleine promotion de son premier long métrage, Falcon Lake, libre adaptation de la BD Une sœur de Bastien Vivès (Casterman), ou encore à la soirée caritative des Crayons solidaires organisée le 1er décembre, également prise à partie sur Twitter. Le dessinateur Boulet, invité à l’événement aux côtés de Bastien Vivès, s’est publiquement positionné: « J’ai dit à l’orga’ que j’étais dégoûté qu’il soit là ce soir et que ça me faisait chier d’être associé à lui. […] J’ai dit à ses potes d’atelier de conseiller [à Bastien Vivès, ndlr] d’annuler sa venue. »

À la suite de cette prise de position, un second auteur très respecté des milieux « indé », Jérôme Dubois, a demandé des comptes au FIBD sur Instagram : « Dans le contexte de #MeToo, alors que le monde de la BD a déjà du mal à faire sa propre remise en question, quel message cette expo donne-t-elle de notre milieu ? » Contactée par téléphone, la scénariste et historienne Marie Bardiaux-Vaïente développe: « Comment, dans un milieu extrêmement masculin où nous, autrices, pensions avoir réussi à gagner quelques batailles depuis 2016, comment le FIBD justifie-t-il de consacrer de l’argent public à un travail qui me semble être une caricature de ce qu’on pensait ne plus jamais voir exposer dans une institution ? » L’un comme l’autre se défendent d’appeler à la déprogrammation ou au boycott. D’autres s’en sont chargés à leur place. Une pétition lancée le 8 décembre par des « étudiant.e.s en lutte » d’écoles d’art d’Angoulême demande la suppression de l’exposition: « Intolérable qu’une institution historique telle que le FIBD » donne une telle visibilité à un auteur coupable « d’ouvrages ouvertement pédopornographiques ». Une autre, lancée par Arnaud Gallais, cofondateur du collectif Prévenir et Protéger et du mouvement #BeBraveFrance, a recueilli à ce jour près de 3 000 signatures.

Au FIBD, le directeur adjoint concède l’esprit « trollesque » de l’auteur sans y voir de justification pour incriminer ses œuvres.

Dans son bureau de Casterman, le directeur éditorial du catalogue de bandes dessinées, Benoît Mouchart, est « très ému », dit-il, de l’ampleur des polémiques. Petit Paul (qui est édité par Glénat) est loin d’être sa bande dessinée préférée, souligne-t-il dans un euphémisme. « Mais de quoi parle-t-on exactement ? A quel endroit fait-il une quelconque apologie ? Est-il désormais impossible de représenter les tabous ? » Dans l’incendie qui s’est allumé, la moindre case de bandes dessinées de l’auteur semble auscultée comme possible pièce à conviction, y compris celles que Casterman édite, dont le très chaste Polina ou le plus érotique Le Chemisier, œuvre « emblématique d’une hypersexualisation et une misogynie inacceptables aujourd’hui », selon la pétition des étudiants – mais dont on est libre de faire une lecture bien moins univoque, voire contraire (c’était notre cas, nda). L’éditeur, de son côté, s’inquiète de la « littéralité » des regards mais aussi de l’autocensure artistique qui pourrait en découler: « J’ai souvent l’impression que Bastien se projette bien plus dans les personnages féminins (souvent très puissants) qu’il dessine ou dans les enfants que dans les personnages masculins », interprète l’éditeur.

D’autre part, et Benoît Mouchart semble alors très préoccupé par ce qu’il considérait comme « acquis »: « Il y a quand même une confusion navrante entre ce que pense un personnage, un narrateur et un auteur... J’ai l’impression qu’on revit le procès intenté contre Flaubert pour Madame Bovary, ou celui des Fleurs du mal de Baudelaire ! »

L’auteur comme son éditeur en sont persuadés : ces attaques sont peut-être à inscrire dans l’ère post-#MeToo mais surtout dans celle post-Charlie, redoutable envers les caricatures sur sujets interdits. Elles indiquent en tout cas que les digues hier évidentes semblent aujourd’hui menacées: la différence entre représenter et adhérer, entre transgression et exaltation, entre éthique de l’auteur et du personnage. Mais aussi entre « désirer, souhaiter, agir » pour reprendre le sous-titre de l’essai Ces désirs qui nous font honte (2010) du psychanalyste Serge Tisseron, qui revenait sur la nécessité sociale de défendre les espaces cathartiques: « La loi ne fait pas que réglementer la vie sociale, elle nous permet aussi de nous donner des représentations de nos désirs dont la réalisation est interdite, écrivait-il. Non seulement il n’est pas interdit de désirer ce que la loi interdit, mais il est même fortement conseillé de se représenter ce qu’on désire. »

La remarque était formulée autrement dans Libé par la metteure en scène Gisèle Vienne, au moment où, en 2017, les débats s’enflammaient autour des œuvres à bannir ou non dans le sillage de #MeToo. Collaboratrice de l’écrivain Denis Cooper (qui a écrit sur les viols de masse d’adolescents sadiques), elle revendiquait le droit de représenter les fantasmes les plus tordus et pointait une incohérence: « Aujourd’hui, quand on tue 260 personnes dans un roman, on ne dit pas que l’auteur est “criminel”. Mais quand on viole une femme ou quand on touche un enfant dans une fiction, c’est “inaudible”, soulignait-elle, taclant l’«héritage catho » qui suinterait de ce « rapport très moral à la mauvaise pensée. […] Tout le monde a des pensées inconvenantes, des curiosités perverses. Les interdire ou les ignorer me semble bien la pire des choses à faire. Alors qu’il faudrait réfléchir aux façons d’épanouir ce qui nous anime sans mettre en péril la communauté. »

Sans doute, mais sur la liberté de fantasme, Bastien Vivès nous arrête: « Je les représente de manière burlesque mais j’ai zéro fantasmes incestueux ou pédophiles. » S’il faut repréciser, « moi mon fantasme, c’est l’hypertrophie des corps, masculins comme féminins. » Certains internautes croient prouver le contraire, en exhumant des publications remontant parfois à 2005, postées par l’auteur sur des forums, sous pseudo. « Tout le milieu savait que c’était moi ! se défend-il. Je m’intéressais en effet à un manga ouvertement pédoporno, en reconnaissant que le sujet était abject mais en étant sincèrement intéressé par un dessin que je trouvais extraordinaire. C’est calomnieux d’en déduire autre chose. » Lors des premières polémiques autour de Petit Paul en 2018, le dessinateur Boulet disait peiner à « démêler ce qui est de l’ordre du fantasme et de la provoc puérile ». Vivès mentionne aussi « sa jeunesse » à l’époque, « parfois des propos immatures et stupides sous couvert d’humour », et salue notamment la vague #MeToo sur le fait d’inciter « à mieux réfléchir avant de parler, à forcer à l’exigence, à n’avoir plus droit à la paresse avec des gags racistes et sexistes nuls ». Reste que ces prises de parole intempestives auraient, selon quelques acteurs du milieu préférant rester anonymes, « jeté de l’huile sur le feu ». Sans cautionner la vague d’hygiénisme touchant les œuvres (et qu’appelle à suivre la pétition), certains déplorent les « provocs systématiques et cradingues de Bastien Vivès sur les réseaux ». Au FIBD, le directeur adjoint concède l’esprit « trollesque » de l’auteur sans y voir de justification pour incriminer ses œuvres.

Pour une part, Bastien Vivès en convient: « Par exemple, cet été, j’ai fait un dessin sur Instagram avec des lesbiennes et c’est pas passé du tout. J’ai dit: “Je me suis planté, y a que moi qui ai compris ma blague, c’était pas bon. Et désolé d’avoir heurté des gens.” » Il n’a aucun mal à se passer d’un dessin, assure-t-il, quand un risque pèse sur son interprétation. « C’est arrivé quelques fois que mon éditeur Benoît Mouchart m’interroge sur la pertinence de certains, et j’étais parfaitement d’accord pour les retravailler ou les retirer. » Sa ligne est ferme: on peut tout dessiner, à partir du moment où le « contexte » de réception est soigneusement travaillé. « Là, des gens isolent des morceaux de bandes dessinées ou des extraits d’interviews pour prouver que je suis pédophile, et ça fait gonfler leur communauté sur les réseaux sociaux. » Aujourd’hui, il se dit « dégoûté mais aussi effrayé que certains dessinateurs entretiennent publiquement l’ambiguïté entre mes dessins et mes actes réels ». Il trouve qu’après Charlie et Samuel Paty, « c’est trop grave ».

En pleine tempête, Bastien Vivès se dit « complètement partant pour des débats ». Son éditeur chez Casterman, Benoît Mouchart, souhaiterait que s’en tiennent deux à Angoulême: l’un sur la liberté d’expression et l’autre, sur « la représentation érotique des rapports hommes-femmes dans le monde post-#MeToo ». Fausto Fasulo, au FIBD, n’est pas opposé à des rencontres-débats mais dit aussi sa réticence à « surcontextualiser » le travail avec, par exemple, des « trigger warnings » (notices d’avertissement) dans l’exposition: « Considérant ce qu’il fait – c’est-à-dire juste s’exprimer artistiquement – ça me parait à ce jour disproportionné. » Quant à la déprogrammation, elle est « évidemment exclue. Ce serait une défaite philosophique énorme ».

Merci Libé, merci Eve Beauvallet

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Commentaires
G
Hé ouais, ayé.<br /> <br /> Quelle misère !<br /> <br /> <br /> <br /> Aujourd'hui, la publication par Nabokov de "Lolita" serait tout bonnement inenvisageable.<br /> <br /> Sans parler des "Cent vingt journées de Sodome", évidemment — ni bien sûr du "Salo" de Pasolini…
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T
La "défaite philosophique".
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G
Le lien, c'était vers ce truc vanté sur le site de Julie Doucet :<br /> <br /> https://lepantalitaire.bigcartel.com/product/poirette-numero-2
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G
Ah zut, j'avais mis un lien et tout bien les italiques mais apparemment Canalblog s'en tape les burnes, faut croire qu'ils participent aussi de cette chasse aux sorciers…
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G
Bordel de couille à queue, putain de bite à trous, Hara-Kiri ne pourrait décidément plus paraître aujourd'hui, Choron doit s'en retourner sept fois dans sa tombe !<br /> <br /> Et Julie Doucet, elle est pas criticable, à ce compte ?<br /> <br /> (Ah, pardon, c'est une gonzesse, j'oubliais !)<br /> <br /> <br /> <br /> Jusqu'ici j'aimais bien Boulet, ses Donjon Zénith et ses Notes chez Delcourt, mais c'est apparemment devenu un boulet (ce qu'il avait d'ailleurs annoncé en titre du premier tome de son journal : Born to be a larve).<br /> <br /> <br /> <br /> ♪♬♩ Ah mais, ça ne finira donc jamais ? ♪♫♪
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