Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
le vieux monde qui n'en finit pas
le vieux monde qui n'en finit pas
Publicité
le vieux monde qui n'en finit pas
Visiteurs
Depuis la création 1 425 667
Newsletter
Derniers commentaires
23 juin 2023

Marie-Pierre Duhamel 1952-2023

[Lu dans Le Monde, sous la plume de Jacques Mandelbaum, un article très beau, très émouvant,
qui fait suite à la mort de Marie-Pierre. Je le découpe et le copie illico.]

media192


~~

La mort de Marie-Pierre Duhamel-Muller,

grande figure discrète du cinéma français.

Décédée le 19 juin 2023, à l’âge de 70 ans, à l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Cognacq-Jay (Paris 15e) des suites d’un cancer, Marie-Pierre Duhamel-Muller était une grande figure du cinéma français. Sa discrétion quasiment sacerdotale, son humilité d’airain, son caractère pugnace recouvraient une relation joyeusement sororale et d’une générosité sans bornes à l’égard des cinéastes et des cinéphiles qu’elle estimait. A la mesure de ce rayonnement spirituel, on pourrait s’étonner, à l’heure de l’omniscience d’Internet, qu’il ne justifie aucune fiche Wikipedia, aucun avis nécrologique digne de ce nom. Ce pouvoir qui était le sien, elle qui abhorrait le pouvoir, on le mesure précisément à cette absence.

Marie-Pierre Duhamel, de son nom de jeune fille, était une figure de l’ombre, une formidable "passeuse", et son action, ne se soutenant d’aucun orgueil ni d’aucune recherche de carrière, consistait à aider des cinéastes qu’on pourrait qualifier de "minoritaires" à trouver leur place dans le concert cinématographique. Elle y mettait toute sa passion, qui était éruptive, pour en convaincre ses interlocuteurs, et bien des réalisateurs – de Frederick Wiseman à Wang Bing, en passant par Jia Zhang-ke et Marco Bellocchio, pour ne citer que les plus célèbres – recherchaient ses conseils et son regard avisés. Programmatrice, enseignante, traductrice, interprète, sous-titreuse, son intelligence était vive, son érudition impressionnante, son sens de la dialectique, comme de l’anathème, redouté.

Née le 28 novembre 1952 d’un père grand négociant en poissons et d’une mère bibliothécaire italo-bretonne, elle se lance dans le milieu du cinéma, après des études d’histoire et de chinois, et sa carrière prend mille détours, mille visages. En 1987, on la trouve au Centre national de la cinématographie. En 1994, la voici administratrice de l’unité documentaire d’Arte aux côtés de Thierry Garrel. En 1995, elle est responsable de la production documentaire chez Pathé télévision. Elle enseigne aussi régulièrement à compter des années 1990, aussi bien à la Femis, au département montage, que dans diverses universités européennes.

La programmation la passionnait. On lui doit ainsi des événements défricheurs, parmi lesquels, en 1995, « Animalia Cinematografica », sur la représentation de l’animal au cinéma, ou, en 2017, une rétrospective passionnante du cinéma indépendant afro-américain, toutes deux organisées dans cette institution qui lui était chère, le Centre Pompidou. Le cours de sa vie professionnel doit aussi à une rencontre décisive, celle de Marco Muller. Les deux jeunes gens – aussi peu maoïstes l’un que l’autre – se rencontrent en Chine en 1975, parmi les premiers boursiers français à étudier dans le pays. Ils s’y marient en juillet 1976, ne vivront jamais ensemble (Marco vit en Italie, Marie-Pierre en France), divorcent en 1996, mais se vouent une estime réciproque qui défie le cours des sentiments comme celui du temps. Elle sera ainsi aux côtés de Marco Muller, devenu l’un des plus étincelants et inventifs directeurs de festivals de cinéma au monde, dans les comités de sélection des festivals de Turin, Pesaro, Locarno, Venise ou Rome, et plus récemment du festival de Pingyao, en Chine, créé par Jia Zhang-ke.

Elle-même, forte de son inclination pour le documentaire, prendra la tête de Cinéma du réel à Paris, de 2005 à 2008. Mais c’était sans doute encore trop de lumière pour Marie-Pierre Duhamel-Muller qui, si l’on peut se permettre une notation personnelle, freinait toujours des quatre fers quand on lui proposait de l’interviewer, mais partageait sans limite des trésors de connaissance dans son petit appartement du dix-huitième arrondissement parisien, au point qu’on en redescendait tout étourdi.

Après la mise au tombeau de la Nouvelle Vague tout entière, c’est avec sa mort, qui suit d’assez près son ami cher, le critique et réalisateur Jean-Louic Comolli, la génération, pure, dure et fervente des grands cinéphiles qui commence à les y rejoindre. Soit un type de rapport au monde qui ne raccorde sans doute plus très bien au nôtre, auquel pourtant elle manque déjà durement.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité