Lectures pour tous : Amélie Nothomb
« Voler suppose en outre une quantité énorme de carburant. L’expression "manger comme un oiseau" est le sommet du contresens. L’oiseau doit manger trois fois son poids par jour s’il veut voler autant qu’il le doit. Il lui faut rechercher du matin au soir des doses colossales de nourriture. Imaginons que nous devions chacun nous procurer trois fois notre poids d’aliments par jour, nous passerions notre existence entière au supermarché. Si tel devait être notre destin, nous ne nous tiendrions certainement pas pour libres. »
« C’est [à Sylhet] que je vis ce que je pris d’abord pour une de ces chauve-souris qui régnaient en maîtresses du ciel et qui s’avéra mériter le nom fabuleux d’engoulevent oreillard. Cet oiseau avait l’apparence d’un dragon. Il poussait des cris qui ressemblaient à un sifflement approbateur. Le voir de près stupéfiait. Deux oreilles pointues entouraient un faciès de gargouille qui exprimait une colère hors du commun. Le mâle ne se différenciait pas de la femelle. Son plumage se confondait avec le sol où il vivait le jour. »
« Le sigle [de la Biman Bangladesh] était une cigogne. Loin de moi le souhait de nier le prestige de cet oiseau, mais je n’en ai jamais vu dans ce pays. Cela ne signifiait pas qu’il n’y en avait pas. Néanmoins, je n’ai pas compris pourquoi la Biman n’avait pas choisi pour symbole l’engoulevent oreillard. Le vol aventureux des Fokker de cette compagnie évoquait bien davantage les prises de risques de l’engoulevent que la calme croisière de la cigogne. Au fond, cela n’eût pas dû m’étonner. La symbolique ne s’embarrasse guère de vraisemblance. L’animal qui représente la Belgique est le lion. Sans commentaire. »
Amélie Nothomb, Psychopompe, Albin Michel, 2023