Lectures pour tous : Laszlo Krasznahorkai
« Le cellier, situé en plein cœur de l’appartement, recelait, compte tenu de la conjoncture, une quantité incroyable de victuailles: des jambons garnis de colliers de paprikas séchés, des saucisses et du lard fumé étaient suspendus en hauteur, juste au-dessous se trouvaient, en quantité suffisante pour tenir un siège, des sacs de sucre, de farine, de sel et de riz, soigneusement alignés; de chaque côté du buffet reposaient les sacs de café, de pavot, d’aromates, de pommes de terre et d’oignons, et enfin, pour couronner cette forteresse de victuailles, cette abondance, preuve de la prévoyance de sa propriétaire – au même titre que la luxuriante forêt de fleurs et de plantes qui couronnait l’appartement –, une innombrable masse de bienveillants bocaux de conserves s’alignaient en ordre militaire sur des étagères fixées sur le mur central. Tout ce qu’elle avait pu mettre en conserve depuis le début de l’été se trouvait ici, des fruits au sirop et cornichons jusqu’aux noix au miel en passant par le coulis de tomates, aussi, comme à son habitude, passa-t-elle en revue, un peu indécise, ce régiment de verreries, pour, finalement, regagner, un bocal de griottes au rhum à la main, la salon où, avant de se réinstaller dans son fauteuil vert printemps, elle alluma, plus par habitude que par envie, la télévision. » Laszlo Krasznahorkai, La mélancolie de la résistance, 1989, Gallimard [2006], traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly.
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Les harmonies Werckmeister, de Béla Tarr, 2000
(d'après La mélancolie de la résistance)