Relectures pour tous : correcteur anonyme 3/3

« Cette parenthèse pour préciser que je n'ai eu que des bons rapports avec les traducteurs. Ils sont individualistes, parfaitement étrangers à toute idée de solidarité. Bizarrement, c'est peut-être cette particularité qui m'en a rapproché. Un tel égoïsme, porté à ce degré d'incandescence, ne pouvait qu'habiter un être intéressant. L'accusation de "traîtrise" attachée à leur occupation a fini par me les rendre chers. Il faut en outre à un traducteur une humilité vraiment remarquable, un oubli de soi-même merveilleux, à mon sens du moins, pour accomplir sérieusement sa tâche.

« Le traducteur, mâle ou femelle, est une espèce farouche, difficile à approcher, vivant souvent à la campagne ou loin de Paris, généralement débordé de travail, entouré de dictionnaires innombrables non seulement pour impressionner les visiteurs, mais parce que cela lui sert de temps en temps; et quand il a quelque loisir, s'occupant souvent à rechercher d'autres travaux de traduction, d'enseignement ou de journalisme.

« Le traducteur, objet de constantes vexations, de reproches incessants, de menaces précises (on le menace parfois de ne pas être payé s'il "n'améliore" pas son travail), a l'amour-propre éternellement froissé, chacun pouvant à loisir retoucher plus ou moins complètement son travail. Il en conçoit un ressentiment tenace et une agressivité intense. [...]

« Généralement, dans son essence, le traducteur est un râleur plutôt solitaire et inoffensif qui souffre d'être méprisé, se livre volontiers au premier venu, non seulement à propos de ses traductions, mais à propos de tout. »

Souvenirs de la maison des mots, anonyme, Editions 13 bis, 2011