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le vieux monde qui n'en finit pas
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2 février 2013

La fin du salariat. Un conte pour les Picards

« Le PDG décrocha le téléphone. Dès ce moment tout allait changer. Fébrile, son chef comptable lui annoncait que tous avaient refusé le salaire. Ils se réunissaient pour l’instant dans la cour centrale. Ils étaient en train de décider les contacts qu’ils avaient à prendre avec d’autres secteurs pour poursuivre la production dans un sens jamais connu, celui qui résulterait non plus du marché mais de la décision des travailleurs eux-mêmes. Le PDG raccrocha disant qu’il devait réfléchir. Il se carra dans son fauteuil. L’incroyable venait de se produire. Ils avaient enfin compris ! Ces fantoches du syndicat venaient d’être dépassés par leurs troupes. Plus rien n’allait fonctionner comme avant. Les prix ne tarderaient pas à s’écrouler, les banques à fermer. Les flics n’auraient plus rien à garder. Tous allaient prendre conscience dans quelques jours de l’absurde siltuation qui s’était maintenue en dépit de l’abondance, à coups de subterfuges, de publicité, de faux intérêts: fini de soudoyer tout le monde à l’aide de tout le monde ! Le temps de la productivité s’anéantirait dans la productivité du temps.

Une lassitude étrange s’empara de l’homme. Lui-même allait en finir avec cette farce. Ce qu’il fallait maintenant, c’était se perdre dans la masse. La Bourse fermée, l’État lui-même se supprimerait. L’intérêt viendrait d’ailleurs.

Il ouvrit son poste. La voix qui en sortait sonnait étrangement juste. Les communiqués se succédaient: les Conseils de Cockerill-Ougrée annoncaient la poursuite du travail. Ils invitaient tous les secteurs à relever dans les comptes de l’ancienne gestion le montant des fournitures dont ils avaient besoin dans l’immédiat. En contact avec ceux des Transports, ils assureraient les livraisons. Les Conseils Paysans de la région de Nivelles par la voix de leurs délégués momentanés annoncaient les dispositions qu’ils avaient prises quant aux approvisionnements des centres et faisaient part de leurs besoins immédiats en matériel agricole. Les Conseils des Employés de la Capitale et d’Anvers, prenant conscience de l’inanité de leur travail dans les circonstances présentes se proposaient de constituer dans l’immédiat des assemblées de quartier qui, en contact avec les commercants, feraient l’inventaire des besoins locaux. Toutes productions d’armes, coffre-forts, serrures, clôtures, etc. étaient immédiatement stoppées, les machines mises en veilleuse jusqu’à leur prochaine reconversion. Les Conseils Étudiants pour leur part proclamaient leur mise à la disposition de tous et l’enseignement permanent. D’emblée, les facultés de Droit, Philo et Lettres, Sociologie, Économie étaient purement et simplement supprimées. Ces sciences allaient enfin se connaître dans la pratique des rapports nouveaux dépouillés de toutes superstructures... Décidément, le PDG n’avait plus rien à faire. Tout changeait et lui aussi allait devoir changer. La Police ? Comment pourrait-il s’en servir contre des gens qui ne réclamaient rien et qui donnaient tout ? Il se trouvait pris au pège de sa morale de charité.

Une bande joyeuse entra soudain et l’entoura. Un homme sortit du rang et lui dit: "Monsieur le Directeur, nous venons de consommer la société de consommation. Vous pouvez vous retirer." »

[Rupture expressionnaliste, Bruxelles, années quatre-vingt]

cockerill_seraing

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