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2 juin 2015

Gudule 1945-2015

L'amie Gudule nous a lâchés il y a dix, douze jours. Je pose ici le portrait qu'en a dressé Philippe-Jean Catinchi. En version intégrale comme d'habitude, pour en permettre la lecture aux non-abonnés au journal. On lira un peu de la prose de Gudule sur son blog, Actualité littéraire et blablatage, où l'on trouve également des liens électroniques avec ses éditeurs.

gudule02

~

Anne Liger-Belair, dite Anne Duguël, dite Gudule
(par Philippe-Jean Catinchi)

La romancière Anne Liger-Belair qui avait pris pour nom de plume Gudule, dès ses premières publications, est morte à Puycelsi (Tarn) mercredi 20 mai à l’âge de 69 ans. Celle qui se définissait elle-même sur son blog comme « écrivaine pour la jeunesse, surtout, et pour les adultes aussi un peu » a toujours voulu écrire, bouclant son premier « roman » à l’âge de 5 ans.

Née à Ixelles (une des communes de l’agglomération de Bruxelles) le 1er août 1945, elle grandit, dernière et seule fille de la fratrie, dans un milieu catholique traditionaliste qui l’étouffe. Si son père Gérard, qui tient une boutique de modélisme, chaussée de Wavre à Ixelles, est un ami d’Hergé – il assure l’expertise des avions et bateaux du dessinateur et choisit La Licorne, vaisseau de l’escadre de Tourville coulé en 1692, pour l’épopée de François de Hadoque –, le monde raisonnable et sagement rationnel qui entoure l’enfant ne lui convient guère.

Découvrant Jean Ray (1887-1964), le maître de la littérature fantastique qui imagina Harry Dickson, et le dramaturge Michel de Ghelderode (1898-1962) dont le goût pour le folklore et les contes cruels la nourrissent durablement, l’adolescente choisit l’étrange et l’irrationnel comme horizon de création. Et le roman qu’elle écrit en 6e, situé dans un pensionnat de jeunes filles envahi par des spectres, sera repris assez fidèlement trente ans plus tard (Le Couvent maudit devenu L’École qui n’existait pas). Après des études aux Arts-Déco de Bruxelles, elle quitte la Belgique et ce carcan de bien-pensance, qui la rejettent elle et l’enfant qui est né d’une relation forte mais brutale avec un séducteur peu scrupuleux (elle en livre le bouleversant récit dans La Vie en rose, Grasset, 2003).

Accueillie au Liban par son frère architecte, elle y crée des costumes et, au quotidien Le Jour ou à l’hebdomadaire Ça magazine, fait ses armes dans le journalisme. C’est là qu’elle rencontre le dessinateur de bandes dessinées Carali (de son vrai nom Paul Karali), Égyptien qui a fui son pays et ne va pas tarder à quitter le Liban, menacé par le pouvoir pour sa trop forte liberté d’expression. Anne qui lie son sort au sien – leur couple tiendra vingt ans et deux enfants Olivier (1967) et Mélanie (1977) naîtront, qui tous deux suivront les traces de leur père et de leur oncle Édouard (Edika) dans la BD sous les noms respectifs d’Olivier Ka et Mélaka – revient donc en Europe. Une halte à Bruxelles, et plutôt que de gagner le Canada, destination initiale, tous s’installent à Paris. Gudule – Anne a adopté ce pseudonyme pour une chanson qu’elle écrit où toutes les rimes sont en ule – élève ses trois enfants tout en signant des textes pour Hara-Kiri, Fluide glacial, Charlie Hebdo ou L’Echo des savanes, Pomme d’Api et Pif aussi…

Ce n’est qu’après sa rupture avec Carali, lassée de travaux alimentaires, qu’elle se résout à publier ce qu’elle écrit. Un album pour les tout-petits (Prince charmant poil aux dents, Syros, 1987) parallèlement à des textes pour les adultes qu’elle signe d’un autre pseudo, Anne Duguël, anagramme de Gudule, patronne de la ville de Bruxelles.

Un versant pour scruter l’épouvante ordinaire dont les ferments relèvent du quotidien, ce fantastique qui tient au non-dit, au secret et aux abysses de l’inconscient (Le Corridor, Asylum, Gargouille, La Baby-Sitter, La Petite Fille aux araignées, Entre chien et louve) ; un autre plus enlevé, pétillant même, malgré la gravité des thèmes abordés, puisque tourné vers un lectorat plus jeune.

La Bibliothécaire (1995), L’Amour en chaussettes (1999), La Vie à reculons (2001) s’imposent comme des classiques, alors même que Gudule y transgresse les lois non écrites des thèmes convenables. Si le premier annexe la littérature classique pour donner une vie nouvelle à Gavroche, Alice, Rimbaud ou au Petit Prince, le deuxième ose le premier rapport sexuel à l’adolescence sans le masque des métaphores, le troisième affronte la séropositivité en milieu scolaire.

Le monde des SDF, le racisme ordinaire, l’enfance maltraitée, rien n’échappe à Gudule qui ne conçoit pas ses livres comme des médicaments mais comme des cris d’alarme, provocatrice non par goût du scandale mais pour éveiller, faire réagir, émouvoir au sens premier. Pas de posture mais une mise en mouvement qui relève authentiquement du politique. Pourtant Gudule n’est jamais sévère. Fille de 1968, elle garde l’esprit libertaire et joyeux qui fait de ses alertes des leçons d’énergie. Voilà pourquoi cette auteure prolixe a su conquérir un public épris de verbe libre, vrai, naturel, ennemi des tabous, « cash » en quelque sorte. Une singularité qui fait la signature de Gudule, auteure jeunesse mais pas que…

[Philippe-Jean Catinchi, LeMonde]

gudule001

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Commentaires
P
Mort interdite<br /> <br /> http://philippe-caza.blogspot.be/2015/05/un-texte-de-gudule-en-2014.html
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