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13 février 2017

Godard au Cinématographe : démarrage

Début de la rétrospective Godard au Cinématographe (Nantes, CLIC).

La présentation de Jérôme Baron.

***

 

"Depuis quelques années, l'obsession biographique entourant Jean-Luc Godard – citons dans l'ordre de leur parution les ouvrages anglais de Colin McCabe (2003), américain de Richard Brody (2008), français d'Antoine de Baecque (2010) et, plus obliquement, le dictionnaire consacré au cinéaste par Jean-Luc Douin la même année – poursuit de faire de lui une des figures les plus étudiées et commentées de l'histoire du cinéma, et déjà, un cas particulier pour celle des arts depuis que ses propres Histoire(s) du cinéma réhaussées par leur palette vidéo l'ont consacré comme peintre du XXe siècle tout entier. Le temps où la personnalité de l'artiste, adulée, controversée, cohabitait avec l'œuvre semble avoir été doublé par la dimension monumentale de ce qu'elle recouvre. Godard n' a cessé de se débattre dans un sens et dans un autre avec ce qu'il a créé, exerçant la contradiction, cherchant à redonner à l'œuvre une place que l'artiste lui dispute. Sa tête en couverture d'un magazine, quelques aphorismes ou brillants dynamitages médiatiques valent plus que des films toujours moins vus. Si depuis plusieurs années déjà il préserve un silence distant entre chaque film, réservant sa parole à certains, elle reste plus convoitée que les films à l'heure de leur sortie. Pourquoi ? Parce que l'histoire de son œuvre est aussi celle de son temps, ou plus exactement celle d'un cinéaste au travail des questions qu'il lui pose autant que des blessures historiques qui le façonne. Depuis sa retraite solitaire, il collecte, assemble, associe, se souvient, confronte, scrute, explore la matière et les ressources de son média afin de rendre intelligible la rumeur du monde, sa (notre) musique que ses films, comme aucun autre, nous donnent à entendre. Ce que la machine de cinéma inventée par Godard a de vraiment interactif, c'est qu'elle nous donne à voir à la fois le travail, son résultat, et intègre une dimension critique. Elle l'est aussi au sens où elle convoque et métamorphose les figures de l'écrivain, de l'historien, du poète, du penseur et du scientifique pour les faire cinéastes et ensemble lancé moins au défi d'un film à réussir qu'à forger depuis les années 1960 les outils d'un dialogue ininterrompu avec l'époque : le colonialisme et son extension impérialiste à l'heure du Vietnam, la société du spectacle et la consommation de masse, la puissance écrasante de la culture américaine, la Palestine, la Russie et la réunification de l'Allemagne, la Yougoslavie, le déclin de l'Occident et la dissolution du rêve européen... Cette énumération ne saurait pourtant être réduite à l'autorité d'une chronologie dont l'œuvre n'aurait qu'accompagné les convulsions. L'œuvre est autour de son temps, ou depuis là où nous en sommes, orientée par une question plus déterminante encore : à quelles conditions une image peut-elle dire l'Histoire ? Quelle Histoire s'écrit à travers les images ? Depuis, le cinéma imprime ontologiquement la vérité vingt-quatre fois par seconde, on sait aussi que le temps est une affaire relative pour Godard, en témoigne son aptitude au court-circuit, au détour, au ralenti comme aux fulgurances. Il traque aussi bien les dernières minutes des choses visibles, "sans secours", que celles de leur origine : disparition et naissance, mort et enfance de l'art, indissociablement. Il y a ainsi, sous la double ascendance des deux André, Bazin et Malraux, une métaphysique godardienne dont la formule est reprécisée à travers une recherche incessante de ce que peut encore le cinéma, de ce dont il a été capable. Le cinéma de Godard est comme un vaste réseau d'expériences, un jeu d'associations dont les règles ne sont jamais figées, où les parties, pourtant répétées ou reprises, ne sont jamais jouées d'avance. L'art de Godard est de n'être jamais clos sur lui-même, il est depuis l'isolement où il s'invente infiniment peuplé, imprévisible, et à l'image de notre monde, il s'avance parfois à la limite de la lisibilité. Ainsi les films nous prennent et nous prendront encore de vitesse. Entre sidération, errance et émerveillement, chacun y est invité à cheminer vers leur beauté paradoxale. Ceux que l'œuvre concerne ne savent jamais vraiment dire s'ils l'accompagnent ou si elle les suit. Ils savent cependant que le plus grand créateur de formes du XXe siècle a résolument mis l'art du côté d'une idée de la vie qui confine au sacré. Sa mélancolie n'en est que plus profonde."

Jérôme Baron

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