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le vieux monde qui n'en finit pas
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1 février 2023

« Interroger ou contester le travail d’un auteur est légitime, le bâillonner ne l’est pas »

Partageons [Le Monde, 2 février]

Des personnalités du monde de la culture, artistes, écrivains, peintres, cinéastes, éditeurs,
s’alarment d’« un climat de peur menaçant la liberté de création ».

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« Après l’annulation de l’exposition de Bastien Vivès par le festival d’Angoulême à la suite de la controverse sur les réseaux sociaux taxant son œuvre de "pédopornographe" (alors que ni l’auteur ni son œuvre n’ont fait l’objet de condamnation), nous sommes nombreux et nombreuses à nous alarmer d’un climat de peur menaçant la liberté de création, celle des artistes, des écrivains, des peintres et des cinéastes, bien au-delà de la seule bande dessinée et de l’auteur concerné.

« Certains d’entre nous connaissent Bastien Vivès; d’autres pas. Certains considèrent qu’il a été cloué au pilori, d’autres qu’il a largement participé à sa disgrâce par de détestables dérapages verbaux, même s’il s’en est excusé. Peu importe, car la fonction de cette tribune n’est pas de le défendre. Il s’agit de rappeler qu’interroger ou contester le travail d’un auteur est légitime, mais que le bâillonner ne l’est pas.

« Comment un artiste pourrait-il encore prendre des risques, interroger sa part d’ombre (et la nôtre), chercher à bousculer, à remuer les passions humaines, à questionner notre condition commune – parfois sombre – en se demandant, à chacune de ses productions, si son prochain habit ne sera pas fait de goudron et de plumes ? Aucun auteur ne peut créer en tremblant.

« Faut-il que plus rien ne soit publié sans passer par les fourches caudines de censeurs – les fameux sensitivity readers – qui vérifieront la conformité de chaque ligne à la morale dominante ? Et, en ce cas, quel sens aura encore l’activité artistique ? Qu’est-ce donc que cela, si ce n’est la réintroduction, par une fraction de la société, d’un délit d’outrage aux bonnes mœurs qui avait valu à Flaubert d’être poursuivi en 1857, car l’art, disait-on, devait poursuivre "un but moral" et contribuer à "épurer les mœurs". Il faut bien invoquer de nobles causes pour limiter les libertés.

« La "fonction sociétale de l’art", qui est à nouveau invoquée, correspond au concept du réalisme socialiste, au nom duquel l’art devait promouvoir le communisme, sinon il était "dégénéré". Ce même concept a été avancé par tous les régimes fascistes, sans exception. L’art n’a pas vocation à devenir un instrument de propagande idéologique. Un artiste n’est pas un militant et son œuvre n’est soumise qu’à la justice et au public, et non à des comités de censeurs. À défaut, ce serait un scénario orwellien. L’ordre moral, au XIXe  siècle comme aujourd’hui, se présente toujours avec les habits du bien pour dévorer les créateurs.

« Mais, surtout, comment ne pas s’effrayer que la fiction soit confondue avec la réalité ? Il n’y a pas, d’un côté, les défenseurs des enfants et, de l’autre, ceux de la liberté de création. Nous sommes viscéralement attachés à la protection de l’enfance, mais il nous semble que réintroduire un contrôle de la pensée et de ses expressions prépare un monde de libertés dégradées dont nos enfants seront précisément les victimes. Si l’on décide d’interdire la représentation du mal plutôt que combattre le mal lui-même, sans s’interroger sur l’œuvre globale de l’artiste et ses intentions réelles, alors la liste des auteurs à condamner, des expositions à déprogrammer et des classiques à brûler sera longue.

« L’évocation du mal n’en est pas son approbation, comme le soulignait la défense de Baudelaire, accusé de promouvoir le vice. C’est aussi ce que rappelait la cour d’appel de Versailles pour relaxer le rappeur Orelsan poursuivi pour sa chanson Sale pute : "Le domaine de la création artistique, parce qu’il est le fruit de l’imaginaire du créateur, est soumis à un régime de liberté renforcé afin de ne pas investir le juge d’un pouvoir de censure qui s’exercerait au nom d’une morale nécessairement subjective de nature à interdire des modes d’expression, souvent minoritaires, mais qui sont aussi le reflet d’une société vivante et qui ont leur place dans une démocratie."

« Autour de nous, beaucoup sont tétanisés par le climat ambiant mais peu osent parler, ayant légitimement peur pour leur carrière et leur réputation. Quand une société en arrive là, elle est au bord de l’obscurantisme. »

Signataires : Emma Becker, autrice; Dominique Bertail, auteur; Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie Hebdo; Enki Bilal, auteur; Blutch, auteur; Franck Bourgeron, auteur; Pascal Bruckner, auteur; Florence Cestac, autrice; Jean-Christophe Chauzy, auteur; Coco, autrice; Jean-Pierre Dionnet, journaliste; Maureen Dor, autrice; Pierre Dutilleul, directeur général du Syndicat national de l’édition; Brigitte Findakly, autrice; Brigitte Fontaine, artiste; Dan Franck, écrivain; Jean-Luc Fromental, auteur; Blanche Gardin, comédienne; Gary Groth, éditeur; Michèle Halberstadt, productrice; Simon Hanselman, auteur; Jean Hatzfeld, journaliste; Michel Hazanavicius, réalisateur; Miles Hyman, auteur; Jack Lang, ancien ministre de la culture; Gérard Lefort, journaliste; Lorenzo Mattotti, artiste; Rina Mattotti, galeriste; Morgan Navarro, auteur; Olivier Nora, éditeur; Francoise Nyssen, ancienne ministre de la culture; Oxmo Puccino, rappeur; Fabienne Renault, autrice; RISS, directeur de la publication de Charlie Hebdo; Jean-Marc Rochette, auteur; Michaël Sanlaville, auteur; Eric Salch, auteur; Abnousse Shalmani, écrivaine; Lili Sztajn, traductrice; Jacques Toubon, ancien ministre de la culture; Jean-Louis Tripp, auteur; Lewis Trondheim, auteur

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Commentaires
G
c'est encourageant
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