Le chondrostome, le lapin et la sardine à l'huile

Vialatte, on le sait, aimait les bêtes. En voici quelques portraits, réunis par Michaël Lainé. Les habitués rigoleront comme des bossus, il leur faudra pour les lire le temps pour les gosses de s’étouffer avec leur glace cassis-framboise. Les autres, qui découvriront Alexandre Vialatte (1901-1971), courront commander les deux volumes des chroniques de La Montagne ("Bouquins", Robert Laffont). Ce Bestiaire est publié par Arléa et illustré par Philippe Honoré, pèse 150 pages et coûte dix euros – moins cher et moins périssable qu’un flacon de crème solaire de taille moyenne.   

Un extrait

« Le monde est surprenant. Surtout la mer. Je viens de vérifier dans le Larousse: tous les poissons ont l’air étonné ; même l’anchois et le coffre cornu ; même le barbier et le malarmat. Et le chondrostome. Et pourtant, le chondrostome... Je n’avais jamais entendu dire que le chondrostome s’étonnât facilement. D’ailleurs personne au monde n’entendit jamais dire que le chondrostome s’étonne de quoi que ce soit. Qui a jamais entendu parler des étonnements du chondrostome ? Et pourtant, c’est un fait, il a l’air étonné (il a dû regarder dans le Larousse la planche "Poissons" comme je viens de le faire moi-même) ; tous les poissons ont l’air surpris. Sauf un, qui a un profil d’intellectuel idiot (c’est sans doute sa sottise qui l’empêche d’admirer). Ils se voient entre eux, au fond des mers, comme dans le Larousse, et ils sont ébahis des beautés de la nature, de sa splendeur et de sa diversité. »

Un autre

« Je n’arrive pas à imaginer qu’un lapin blanc, même célibataire et ne dormant que sept minutes par jour comme la girafe, puisse à force de volonté, de patience, de ténacité, d’aberration et d’idée fixe passer le quart des épreuves de l’oral du certificat d’études primaires, ou qu’une sardine à l’huile, fût-elle douée follement, réussisse une règle de trois. »