« La perte est immense. Dans la hiérarchie du cinéma indépendant américain moderne, à la catégorie "génies", il n’y en a pas légion. Assez sûrement, John Cassavetes, Monte Hellman, David Lynch. Tous ont joué avec le feu, tous s’y sont brûlés. À cet égard, l’ouverture de Wild at Heart[Sailor et Lula] répond directement à l’iconique plan de clôture de Two-Lane Blacktop [Macadam à deux voies], de Hellman, dans les flammes duquel se consume en même temps que la pellicule l’utopie américaine. » [Extrait d'un texte de Mathieu Macheret & Jacques Mandelbaum, dans le journal hier soir] [Photo : Jack Nance dans Eraserhead, 1977]
Ce petit Badiou est sorti depuis un moment déjà. Je l’avais loupé. On vient de me l’apporter, je ne l’ai pas encore fini. Je vous laisse déguster, en attendant, le prière d’insérer. Ça nous évitera d’avoir l’air trop bête (et pourquoi pas, de comprendre à quoi servent Macron, Starmer et Meloni) aux dîners de famille, après le 20 janvier 2025.
« Les esprits éclairés aiment à se moquer de Donald Trump. Il serait le symbole d’une forme de stupidité politique qui n’attendrait que le réveil des gens de bonne volonté pour s’évanouir comme un mauvais rêve. Mais rien n’est plus faux. Plutôt qu’un symbole, Trump est un symptôme : celui de la disparition progressive de la politique dans un gigantesque processus d’unification, où les camps en apparence les plus hostiles se tiennent en réalité la main. Pour en finir avec Trump, c’est cette disparition qu’il convient de combattre, en restaurant les possibilités d’une opposition qui résiste au consensus fondamental de notre temps. Ce consensus porte un nom : capitalisme démocratique. Son opposition aussi : idée du communisme. Toute la difficulté tient donc dans la façon dont Trump et ses semblables rendent chaque jour plus impossible de la rendre effective – au moment même où nous en avons le plus besoin. » C’est publié à Paris par les Presses universitaires de France, collection « Perspectives critiques ». 102 pages, 11 €.
Une fois n'est pas coutume, dénigrer n'est pas dans mes habitudes, mais cette fois, trop, c'est trop. Mon Grand Prix du film le plus paresseux, le plus politiquement correct et par conséquent le plus affligeant de l’année est décerné à mon unanimité à Matti Diop pour Dahomey. Un antidote est possible : revoir Les statues meurent aussi (Chris Marker, Alain Resnais, 1953). [photo ci-dessous]
Mes films préférés de 2024 – puisqu’on ne doit pas se contenter des films récents
(ceux que j’ai eu l’occasion de voir étaient presque tous indignes)...
Le plus beau, le plus inattendu
The Monk and the Gun [Le moine et le fusil], Pawo Choyning Dorji (Bhoutan, 2023)
*
Puis, sans ordre de préférence :
Petit Jo, enfant des rues, Daniel Kamwa (Cameroun, 2019)
Pousse-pousse, Daniel Kamwa (Cameroun, 1976)
Uçan Dairelair Istanbulda [L’invasion des soucoupes volantes sur Istanbul],
Orhan Erçin (Turquie, 1955) [Grâce à toi, Jean Pierre]
Neighbours [Voisins], Norman McLaren (Canada, 1952) [cm]
[Pourquoi ne parle-t-on plus de McLaren ?]
Boudu sauvé des eaux, Jean Renoir (France, 1932)
[Une année sans le voir est une très mauvaise année]
Pozegnania [Les adieux], Wojciech Has (Pologne, 1958)
In the park [Charlot dans le parc], Charles Chaplin (États-Unis, 1915) [cm]
En guise d’indispensable doigt d’honneur aux foutriquettes et pouffiats qui, inquisiteurs à la sauce woke, ont fait annuler sa projection à la Cinémathèque française le 22 décembre dernier, je me sens (im)moralement obligé d’ajouter un ultime film :
Bernardo Bertolucci, Ultimo tango a Parigi (Le Dernier Tango à Paris) (France-Italie, 1972)
Wallace Worsley, The Ace of Hearts (La Carte fatale) (USA, 1921)
Shamsheer, Tarzan & King Kong (Inde, 1965)
Victor Sjöström, Körkarlen (La Charrette fantôme) (Suède, 1921)
Victor Sjöström, The Scarlet Letter (La Lettre écarlate) (USA, 1926)
Alain Resnais, Nuit et brouillard (France, 1956) [cm]
Fazel Ahmed Benzir, Tarzan Konya (Bangladesh, 1997)
Charles S. Gould, Jungle Moon Men (USA, 1955) [+ plusieurs autres titres de la saga Jungle Jim avec Johnny Weissmuller]
Johann Schwarzer, Beim Fotographen et autres courts métrages galants (Autriche, 1907-1910)
Edward F. Cline & Buster Keaton, One Week (La Maison démontable de Malec) (USA, 1920) [+ une pleine brouettée d’autres courts métrages muets de Keaton]
Jess Franco, Drácula contra Frankenstein [version espagnole de Dracula prisonnier de Frankenstein] (France-Espagne-Portugal, 1972)
Tod Browning, The Devil-Doll (Les Poupées du diable) (USA, 1936)
Alain Resnais, L’Année dernière à Marienbad (France, 1961)
Albert Valentin, Marie-Martine (France, 1943)
Reinhold Schünzel, Amphitryon (Allemagne, 1935)
Reinhold Schünzel & Albert Valentin, Les dieux s’amusent (Allemagne, 1935) [version en langue française d’Amphitryon]
Victor Trivas, Niemandsland (No Man’s Land) (Allemagne, 1931)
Victor Trivas, Dans les rues (France, 1933)
Christian-Jaque, La Famille Pont-Biquet (France, 1935)
Cecil B. DeMille, The Crusades (Les Croisades), (USA, 1935)
Fritz Lang, Die Nibelungen (Les Nibelungen) [1 : Siegfried (La Mort de Siegfried) ; 2 : Kriemhilds Rache (La Vengeance de Kriemhild)] (Allemagne, 1924)
Max Linder, Be my Wife (Soyez ma femme) (USA, 1921) [+ un grand tombereau d’autres courts métrages (français et américains) de Linder]
Jean Renoir, La Bête humaine (France, 1938)
Claude Autant-Lara, Occupe-toi d’Amélie (France, 1949)
Résolument subjective, cette liste ne prétend pas être celle des meilleurs films de l’année. Il s’agit simplement de ceux qui, chefs-d’œuvre absolus ou nanars insondables, m’ont apporté le plus de plaisir ou d’émotion. Impossible d’en éliminer un seul : je les ai tous aimés à la folie, pour des raisons différentes, parfois contradictoires mais, à y bien réfléchir, parfaitement complémentaires. Beaucoup sont des classiques, visionnés pour la énième fois avec un intérêt toujours plus vif, toujours plus profond, toujours plus jubilatoire. Et si aucun titre récent ne s’est glissé parmi eux, croyez bien, m’sieurs-dames, que j’en suis le premier marri.
Attachez vos ceintures, c’est parti mon kiki. Les voici dans l’ordre, ou plutôt le désordre, où ils ont été (re)vus.
King Vidor, The Crowd (La Foule) (USA, 1928)
Tod Browning, Freaks (La Monstrueuse Parade) (USA, 1932)
Fred Guiol, Duck Soup (Maison à louer) (USA, 1927) [+ une grosse quinzaine d’autres courts métrages avec Laurel et Hardy]
Sergio Corbucci, Il grande silenzio (Le Grand Silence) (Italie, 1968)
Georges Méliès, L’Homme mouche (France, 1902) [cm]
Erik Charell, Der Kongress tanzt (Allemagne, 1931)
Erik Charell, The Congress Dances (Allemagne, 1931) [version en langue anglaise de Der Kongress tanzt]
Erik Charell, Le congrès s’amuse (Allemagne, 1931) [version en langue française de Der Kongress tanzt] [Jean Boyer, à qui est presque partout attribuée la coréalisation de cette version du film, n’est crédité au générique qu’en tant qu’auteur du dialogue et des couplets ; à y regarder de près, sa très éventuelle contribution anonyme à la mise en scène n’a pu que se limiter, au mieux, à la direction des acteurs de second plan]
Alberto Cavalcanti, Ventriloquist’s Dummy (Le Mannequin du ventriloque), sketch du long métrage collectif Dead of Night (Au cœur de la nuit) (Royaume-Uni, 1945)$$$
Doris Whishman, Nude on the Moon (USA, 1961)
Stephen C. Apostolof, Orgy of the Dead (Orgie macabre), (USA, 1965)
Gregory La Cava, My Man Godfrey (Mon homme Godfrey) (USA, 1936)
Alexander Mackendrick, The Ladykillers (Tueurs de dames) (Royaume-Uni, 1955)
Nicholas Ray, Johnny Guitar (Johnny Guitare) (USA, 1954)
Marco de Gastyne, Une belle garce (France, 1947)
Ernst Lubitsch, One Hour with You (Une heure près de toi) (USA, 1932)
Antonio Margheriti, Danza macabra (Danse macabre) (Italie, 1964)
Karl Freund, Mad Love (Les Mains d’Orlac) (USA, 1935)
Jean Boyer, Prends la route (France, 1936)
Ernst Lubitsch, The Merry Widow (La Veuve joyeuse) (USA, 1934)
Marcel Carné, Drôle de drame (France, 1937)
Pierre Chenal, Le Dernier Tournant (France, 1939)
Maurice Tourneur, Le Val d’enfer (France, 1943)
Irving Klaw, Enslaved Brunette (USA, 1950) [+ toute une série de courts métrages pan-pan-au-cucul du même réalisateur, interprétés, pour les plus capiteux, par la minouchette Betty Page]
Karl Grune, La Maison jaune de Rio (Allemagne, 1931) [version en langue française de Das gelbe Haus des King-Fu, du même Karl Grune]
Ma-Xu Weibang, Ya ban ge sheng [夜半歌聲] (Le Chant de minuit) (Chine, 1937)
Riccardo Freda, L’orribile segreto del Dr. Hichcock (L’Effroyable Secret du Dr Hichcock) (Italie, 1962)
Riccardo Freda, Maciste alla corte del gran Khan (Le Géant à la cour de Kublai Khan) (Italie, 1961)
William Beaudine, Mom and Dad (Les Fausses Pudeurs), (USA, 1945)
Guy Debord, In girum imus nocte et consumimur igni (France, 1981)
Del Lord, We Want our Mummy (USA, 1939) [+ toute une tripotée d’autres courts métrages avec les Trois Stooges]
Terence Fisher, Dracula [Horror of Dracula] (Le Cauchemar de Dracula) (Royaume-Uni, 1958)
Robert S. Baker & Monty Berman, Jack the Ripper (Jack l’Éventreur) (Royaume-Uni, 1959)
Bob Mizer, Rambunction Robot (USA, 1964) [+ toute une palanquée d’autres courts métrages beefcakeux du même monsieur]
Robert Aldrich, The Killing of Sister George (Faut-il tuer Sister George ?) (USA, 1968)
Tod Browning, Dracula (USA, 1931)
James Whale, Frankenstein (USA, 1931)
Ernst Lubitsch, The Love Parade (Parade d’amour) (USA, 1929)
James Whale, The Invisible Man (L’Homme invisible) (USA, 1933)
« Car il suffit de six briques amoncelées, d’une meule de paille fumante et de trois vélos tombés pour donner l’illusion d’un saccage. De même que quinze figurants casqués suggèrent un régiment, dix chèvres sous-payées passent pour une harde, cinq pans de mur effondrés évoquent une mégapole en ruines. Tout dépend de l’angle et du cadrage et plus tard, à la post-production, un peu de musique derrière et trois effets spéciaux feront l’affaire. Car ainsi va le cinématographe où le moins doit faire imaginer le plus. C’est le règne de la partie pour le tout, l’empire de la synecdoque où rien n’arrive à l’extérieur du cadre : hors de son rectangle où se déroule une guerre sans merci, riche en clameurs sauvages, corps démantelés et sang giclant un peu partout, il n’y a que deux types dont l’un tient une perche et l’autre un réflecteur, l’un regarde sa montre et l’autre s’éponge le front. » Jean Echenoz, Bristol, 2025, Minuit.
John Huston, The Misfits [Les désaxés], États-Unis 1961
Bernardo Bertolucci, Ultimo tango a Parigi [Le dernier tango à Paris],
Italie/France 1972
Mikko Niskanen, Kahdeksan surmanluotia [Les huit balles meurtrières],
Finlande 1972
Nelly Kaplan, Néa, France 1976
Tiago Guedes, A Herdade [Le domaine], Portugal 2020
Romain de Saint-Blanquat, La Morsure, France 2023
Wim Wenders, Perfect Days, Allemagne/Japon 2023
Leos Carax, C’est pas moi, France 2024
Clint Eastwood, Juror #2 [Juré n°2], États-Unis 2024
Florence Platarets et Frédéric Bonnaud, Jacques Demy. Le rose et le noir, France 2024
Robert Zemeckis, Here, États-Unis 2024
A quoi j’ajouterai le dernier film en date de David Cronenberg, Four Unloved Women, Adrift on a Purposeless Sea, Experience
the Ecstasy of Dissection (Canada, 2023).
***
Et (c’est un livre) les irremplaçables Mémoires interrompus
du regretté Bertrand Tavernier
[Actes Sud/Institut Lumière, novembre 2024, 550 p.],
dont j’ai fait l’éloge ICI MÊME.
« L’année 2025 ne commence pas trop mal avec la bonne nouvelle de sa mort : un raciste, un colonialiste, un facho, un tortionnaire, un assassin, un homophobe, etc. Mais ça ne change rien au combat antifasciste unitaire à mener d’urgence. » [Philippe Poutou, dans le journal et sur X, hier soir].
Certes, modère la classe politique dans son ensemble, ou presque. Mais c’était aussi un grand patriote, et un bon père de famille qui aimait les animaux. Et puis, on ne dit pas du mal des morts.