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2 mars 2015

Sur Hafed Benotman, par Arthur Harari

Je n'avais jamais rencontré Abdel-Hafed Benotman. Mais la lecture de quelques-uns de ses livres, Les Forcenés, Les Poteaux de torture, Garde à vie (tous chez Rivages), parfois douloureux, souvent violents, toujours à contre-courant, m'avaient fait penser que nous étions de la même famille, que nous aurions pu être très copains. Cela n'arrivera pas. Il est mort il y a quelque jours faute de soins, invisible aux yeux de l'administration et du pouvoir républicains. Il avait 54 ans, dont 17 passés en taule. Honte à "La France debout" hollando-vallsoise. L'acteur et réalisateur Arthur Harari racontait aujourd'hui son histoire dans un quotidien du matin. Je m'approprie son texte. Lisez.

~

benotman

L’écrivain-braqueur est mort le 20 février à l'âge de 54 ans. Ce texte est un hommage au défunt et une interpellation à des hommes vivants, qui sont au service de l’État français.

J’ai connu Hafed Benotman le temps d’une courte année, entre le jour où j’ai décidé que je voulais qu’il joue l’un des rôles principaux de mon premier long métrage, Diamant noir, et sa mort il y a quelques jours. Entre-temps, nous avons tourné ce film ensemble, et j’ai trouvé en lui un homme et un acteur exceptionnels, un ami et un frère. Une de ses amies m’a dit de lui : « Il avait ce quelque chose d’indéfinissable qui faisait qu’on ne pouvait pas ne pas l’aimer. » C’est mon sentiment exact.

Hafed Benotman a été délinquant, braqueur multirécidiviste, écrivain, dramaturge, poète, acteur, militant anticarcéral, grand cardiaque, sans papiers. Il était pourtant né en France de parents algériens en 1960, c’est-à-dire deux ans avant l’indépendance de l’Algérie. Comme tous les Algériens vivant en France, ses parents, ses frères et sœurs et lui sont automatiquement devenus Algériens en 1962. Pour obtenir la nationalité française, ils devaient en faire la demande, et c’est ce qu’ont fait tous les membres de sa famille. À sa majorité, Hafed ne l’a pas fait, car il était à l’époque en détention pour un de ses premiers vols. Et aussi, surtout, parce qu’il s’en foutait alors, comme il le disait lui-même. Il était en colère contre beaucoup de choses (il faut lire ses livres pour savoir lesquelles), et demander à ce pays l’autorisation d’être l’un de ses enfants ne l’intéressait pas. Peut-être a-t-il eu tort de ne pas demander bien gentiment quelque chose qui lui revenait de droit, un droit qui porte un nom : le droit du sol.

Pendant près de 20 ans, Hafed a vécu légalement en France grâce à des cartes de séjour renouvelables. Il devient écrivain en prison, se marie deux fois en prison, en sort, y retourne, se radicalise à l’extrême gauche, continue de publier. En tout, et jusqu’à 2007, il aura passé 17 ans emprisonné. C’est en prison qu’en 1996 il fait un premier double infarctus, se découvrant insuffisant cardiaque. L’administration pénitentiaire a mis douze jours avant de prendre Hafed au sérieux et de le prendre en charge… d’où est née sa nécrose du cœur.

En 1996 précisément, la Loi Pasqua de la double peine change la donne pour les multirécidivistes « étrangers » comme Hafed : il est sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière, expulsable vers l’Algérie, pays qu’il ne connaît pas. Peu après, l’arrêté est cassé après un recours en justice, et Hafed est officiellement non expulsable. Mais dès lors, toutes ses demandes de titre de séjour et de nationalisation seront refusées, jusqu'à sa mort.

J’interpelle donc des hommes dont je ne connais pas les noms. Le cas d’Hafed était défendu depuis plusieurs années par la Ligue des Droits de l’Homme, via son président Pierre Tartakowsky, qui avait multiplié les démarches pour obtenir ce qui ne pouvait légalement plus lui être refusé, si cela avait jamais été le cas, à savoir sa nationalité française. Mais les autorités de France, le ministère de l’Intérieur, la préfecture de police, sont systématiquement restés sourds à ces demandes, signifiant en silence, mais on ne peut plus clairement, qu’Hafed devait encore payer pour ses actes. Après 17 ans de prison, ce qui ressemble pourtant de très près à un paiement suffisant.

Quand j’ai appris la situation administrative d’Hafed, j’ai fait des démarches actives pour tenter d’accélérer sa régularisation, que la LDH pensait imminente, afin qu’il puisse travailler sur mon film. Le jour du tournage se rapprochant, j’ai décidé avec lui de miser sur une autorisation temporaire de travail. Mais pour l’obtenir, nous devions présenter un permis de séjour de trois mois. À cette demande, la préfecture est aussi restée sourde, et muette. Mais je n’ai pas pu me résoudre à remplacer Hafed pour des raisons aussi révoltantes.

Mais il y a bien pire. Le cœur d’Hafed ne fonctionnait qu’à 25% de ses capacités, et la LDH avait légitimement fait de cette donnée un des arguments de sa démarche auprès des autorités. Hafed n’était autorisé à gagner sa vie que comme auteur, ce qui ne lui permettait ni de gagner correctement sa vie, ni d’avoir une couverture maladie décente. Il était entouré, soutenu, mais constamment fauché. Ses frais médicaux étaient régulièrement au-dessus de ses moyens, et sa pudeur l’empêchait souvent de demander de l’argent à ses amis, pourtant nombreux. Quelques jours avant sa dernière attaque cardiaque, Hafed a eu un signe avant-coureur : il a eu un œdème au poumon. Il l’a identifié comme tel, en ayant déjà fait l’expérience par le passé. Mais il a choisi de n’en parler à personne et de s’auto-médicamenter, pour ne pas avoir à demander à un ami de payer le médecin, comme c’était trop souvent le cas à ses yeux. Là, oui, il a eu tort de ne pas demander bien gentiment. C’est quelques jours plus tard, en essayant d’attraper un train, qu’il est tombé par terre.

Des hommes au service de l’État connaissaient ce risque, pour avoir maintes fois été informés par la Ligue des Droits de l’Homme qu’Hafed Benotman, né en France et ayant largement payé pour ses vols, publiant des livres et jouant dans des films en France et en langue française, était insuffisant cardiaque, et que sa situation administrative intenable menaçait sa santé, sa vie. Je doute que que ces hommes au service de l’État soient venus aux obsèques d’Hafed Benotman, samedi 28 février 2015 à 12h40, au cimetière d’Ivry-sur-Seine, 44 avenue de Verdun, Carré 16. Mais, vu que personne ne connaît leurs noms ni leurs visages, ils pourront toujours dire qu’ils y étaient s'ils ont quelque remords.

Arthur Harari

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