Lectures pour tous : Pierre Autin-Grenier
« Drôle d’époque où toutes sortes de gens, parce que la misère est bonne conseillère, se précipitent au ventre des grands magasins et, de rayon en rayon, assouvissent leur fringale de saucisson à l’ail et d’œufs d’esturgeon en tube avec, parfois, quelque difficulté à ingurgiter sans faiblir une boîte de cassoulet froid qui fait ensuite dans l’estomac comme la chute brutale d’un pan de mur sur un terrain vague. C’est, en plein printemps, l’apothéose du libre-service et les débuts d’application de la méthode Durruti. Parce que justement, et pas plus tard qu’hier au soir, ma copine me dit comme ça : « Est-ce que tu ne crois pas que, petit à petit et sans trop s’en apercevoir, on est en train de devenir pauvres pour de bon dans cette société truquée ? » D’abord un peu surpris, c’est en suite de cela que je me suis mis à lui parler de Durruti et aussi qu’on pourrait faire un petit bout de chemin avec lui. Parce que, tu comprends, on ne va pas attendre un improbable au-delà pour se branler bêtement avec les anges. L’éternité est inutile. C’est ici et fissa qu’il faut lutter. Tout de suite on a décidé de faire l’amour, remettant au prochain paragraphe la question de savoir ce qu’il adviendrait de nous et de Durruti si, d’aventure, la bourgeoisie et ses pitbulls venaient sérieusement à se rebiffer. »
Pierre Autin-Grenier, L’éternité est inutile, Gallimard, « L’Arpenteur », 2002.