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le vieux monde qui n'en finit pas
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10 septembre 2012

Lectures pour tous : Roberto Ferrucci

« Un peu plus loin, un jeune père tenait une petite fille par la main. Voilà, c’est notre avion, lui a-t-il dit, dès que l’appareil est devenu visible. Puis, tout ce suite après, il s’est distrait. Le portable à la main, le regard collé sur l’écran. Ailleurs, autrement dit. J’ai vu la petite fille se dresser sur la pointe des pieds, demander quel avion papa, quel avion. Elle l’a demandé une fois, encore une fois, et encore une fois. À chaque question, on l’entendait nettement, ascendante, la légère angoisse qui était en train de monter en elle. Je pensais à ce que pouvait bien signifier le mot avion dans son imaginaire. Quel avion papa, répétait la petite fille. Son angoisse est devenue aussi un peu la mienne. Réponds-lui, me suis-je dit. Tu es son père, rassure-la, espèce d’idiot. Qu’est-ce que tu fabriques avec ton portable ridicule ? Je vais venir et je vais te le balancer par la fenêtre. Mais lui rien, regard fixe sur l’écran. Écoute ta fille, abruti, l’exhortais-je. C’est important, tu ne t’en rends pas compte ? J’aurais voulu l’aider, attirer son attention, la faire se tourner un peu, lui dire le voilà, tu vois, c’est celui-là notre avion, l’orange et blanc, tu le vois ? Et dissiper ainsi sa légère angoisse, mais je savais que ça n’aurait pas été la même chose. Elle avait besoin de la voix de son père, d’être rassurée par son père. Mon intervention aurait même pu être contre-productive, faire vaciller ses certitudes en voie de formation. J’ai inventé in petto une sorte de compte à rebours, mais quand il serait fini je n’avais la moindre idée de ce que je pourrais faire. Assurément rien. Pensez donc. C’est à moins cinq, moins quatre que son père a fait enfin disparaître son portable dans la poche de son manteau et, de nouveau présent, il l’a prise dans ses bras, il l’a embrassée et il lui a dit le voilà, c’est celui-là notre avion, l’orange et blanc, tu le vois ? »

Roberto Ferrucci, Sentiments subversifs/Sentimenti sovversivi
Meet [Saint-Nazaire], « Les bilingues », 2010
(traduit de l’italien par Jérome Nicolas)

petit maroc

Le Petit Maroc, le pont et l'estuaire, à Saint-Nazaire,
vus du « Building » (appartement de la Meet)

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