30 ans de subversion carabinée (3) Ernest Coeurderoy
Nous célébrons le trentième anniversaire de l’Anthologie de la subversion carabinée de notre cher Noël Godin. Pendant cent jours, des auteurs choisis au hasard dans le sommaire du livre sont ici proposés, avec un ou deux extraits pris au hasard dans le chapitre à chacun consacré. L’exercice est gratuit, paresseux et purement incitatif. Pour le reste, démerdez-vous. Réimprimée plusieurs fois, l’Anthologie est encore en vente libre (éditions de l’Âge d’homme), grâce à elle c’est Noël tous les matins. Achetez-la, volez-la, donnez-la ou partagez-la, mais lisez-la.
Aujourd’hui : Ernest Cœurderoy (1825-1862)
Hurrah !!! ou La Révolution par les Cosaques (1854)
« Le peuple est devenu terriblement jouisseur. Cela peut effrayer les Calebs de l’aristocratie légitime, gens qui prétendent que les houppes nerveuses de la vile multitude sont d’une texture plus grossière que les leurs... Mais cela est. Le peuple veut le champ, la forêt, la maison commode, la cave fraîche et le grenier spacieux, l’aisance, les fêtes, les théâtres, les femmes vêtues de gaze rose, les joyeux banquets, les voyages sur les grandes mers, et les lacs de cristal, et les montagnes blanches... absolument comme un gentilhomme de qualité. Le peuple se sent assez de force, d’intelligence, d’art et d’aspirations sublimes pour absorber tout ce qu’il y a d’existence dans ce monde étroit. Il veut rompre sa longue abstinence: il a les reins forts, les rouges désirs brillent dans ses yeux ardents. Vous, avocats de la Bourgeoisie, diseurs à belles robes d’hermine, à beaux rubans et floquarts, à galantes braguettes, petits-maîtres qui dînez d’un cure-dent et portez raie derrière la tête, moustache sous le nez ! Malheur à vous si vous tentiez une fois encore de tresser la crinière du lion et de rogner la corne aiguë de ses ongles ! Car le Lion est sorti de l’antre de la misère, et il se retournera jusque dans les entrailles de ceux qui voudraient lui défendre d’étancher sa soif dans le sang. Ne jetez donc plus sur les barricades des feuilles de laurier, des fleurs et des couronnes, car personne n’ira plus les ramasser au milieu des cadavres. Ne faites plus de prosopopées à Maximilien de Robespierre, de proclamations comme M. de Lamartine, de constitutions et de discours, car personne ne les écoutera plus. N’agitez plus d’oripeaux rouges ou noirs, blancs ou tricolores, de niveaux, de sceptres, de mitres ou de bonnets phrygiens. Car tous ces emblèmes sont symboles d’autorité, et l’individu veut s’appartenir. Moi qui écris cela, par exemple, je ne reconnais à personne le droit de me commander quoi que ce soit ! Et tous ceux qui me liront penseront de même ! L’homme veut jouir, vous dis-je, jouir de lui-même et jouir de sa vie ! Et en vérité, en vérité, l’homme jouira ! Le Bonheur, c’est la Loi ! Et l’Amour, c’est la Vie ! »