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le vieux monde qui n'en finit pas
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13 février 2020

"Adresse aux enseignants", par leurs élèves

Des lycéens, prépas et étudiants adressent une lettre ouverte à leurs enseignants angoissés et émus par le nouveau mode de calcul de leur pension de retraite. Et si vous vous mobilisiez avec la même détermination, la même énergie, leur demandent-ils, contre l’urgence climatique? Arguments chiffrés à l’appui [arguments connus de tous: ah les boucles de rétroaction positive !], ces jeunes gens rappellent à leurs profs que s’ils ne sortent pas la tête du sable illico presto, leurs élèves d’aujourd’hui auront simplement toutes les peines du monde à jouir d’une retraite sur une planète vraisemblablement inhabitable, eux qui "auront à peine plus de quarante ans au milieu du siècle". Irréfutable. [Ce texte a été publié çà et là.]

***

« Chers professeurs, ces derniers mois, à travers votre mobilisation contre la réforme des retraites, vous nous avez montré la détermination dont vous savez faire preuve et l’organisation que vous savez mettre en œuvre pour peser dans les choix politiques. Si cet engagement contre une réforme manifestement injuste nous paraît légitime – et nous le soutenons –, il a aussi laissé perplexes bon nombre d’entre nous parce qu’il révèle, par contraste, l’absence presque indécente de mobilisation pour le problème infiniment plus grave qu’est pour notre génération la crise climatique.

« Tout semble se passer comme si celle-ci n’existait pas vraiment pour vous, comme si nous allions vivre une vie similaire à la vôtre, comme si vous croyiez qu’en vous battant pour les retraites, c’est aussi notre avenir que vous garantissez. Pourtant, l’âge moyen des enseignants aujourd’hui est de 43 ans. Or, selon les projections actuelles, quand nous aurons atteint cet âge, vers 2045, le monde sera à 2°, voire 3° de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, à en croire les derniers modèles de l’Institut de recherches en sciences de l’environnement publiés à la fin de 2019. C’est-à-dire largement au-delà du point de bascule qui condamne la Terre à se réchauffer d’elle-même.

« La configuration biogéochimique de la Terre est telle qu’un certain nombre de boucles de rétroaction positive vont amplifier le réchauffement au fur et à mesure que du CO2 sera relâché dans l’atmosphère: l’acidification des océans au contact de la concentration croissante de CO2 diminue leur capacité d’absorption du carbone; de même, la fonte du pergélisol libère d’immenses quantités de méthane, tandis que la concentration de vapeur d’eau dans l’atmosphère, puissant gaz à effet de serre, augmente de 7% par degré supplémentaire de réchauffement.

« Un article particulièrement marquant, publié en 2018 dans Proceedings of the National Academy of Sciences (Will Steffen et al.), situe ainsi aux alentours de +2° un point de bascule global au-delà duquel le réchauffement de la Terre s’amplifiera de lui-même quelles que soient nos politiques climatiques.

« Dans cette Terre "étuve", il sera de plus en plus difficile de cultiver les céréales sur lesquelles repose notre alimentation, et nos sociétés s’exposeront à la rupture des systèmes alimentaires (Zia Mehrabi, Nature Climate Change, 2020), à des feux de forêts d’ampleur jamais connue qui déverseront à leur tour des centaines de milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère, et à un taux d’extinction des espèces bien supérieur à celui du permien-trias ou du trias jurassique (Stuart Pimm et al., Science, 2014).

« Si nous ne sommes pas encore pris dans cet engrenage, le temps presse, et le "budget" carbone s’épuise: pour qu’il y ait une chance sur deux de rester sous 1,5° de réchauffement, il est d’environ 500 gigatonnes de CO2, et c’est compter sans les émissions du pergélisol, le dépérissement de l’Amazonie et celui des forêts boréales, qui pourraient le réduire d’environ 60%. Au rythme actuel des émissions (40Gt par an), ce budget est donc déjà pratiquement épuisé.

« Pour ceux de notre génération qui, accablés par les preuves scientifiques, ont pleinement conscience de la monstruosité des changements en cours et se trouvent renvoyés à eux-mêmes devant l’inaction générale, comme condamnés à rester spectateurs, il est dès lors difficile de comprendre une telle différence de traitement entre une mobilisation contre la réforme des retraites où vous rassemblez vos efforts, et une crise climatique qui reste toujours à l’arrière-plan de vos mouvements – alors qu’elle compromet l’existence même d’un tel système.

« Qui d’entre nous est assez naïf pour s’attendre à prendre sa retraite vers 2070 dans un monde à +5° ? Ce décrochage nous apparaît d’autant plus choquant que vous nous montrez que vous êtes capables de vous mobiliser, et vous ne le faites précisément pas pour la crise climatique. Nous ne comprenons pas pourquoi il en est ainsi alors que nous avons désespérément besoin de votre aide. Désespérément besoin que vous pesiez de tout votre poids pour forcer une action politique comme vous le faites pour les retraites. Désespérément besoin que vous vous engagiez massivement contre la crise climatique, comme si nos vies étaient en jeu, parce qu’elles le sont.

« Vous qui nous côtoyez tous les jours, pourquoi n’agissez-vous pas tant qu’il est encore temps? Pourquoi nous laissez-vous pratiquement seuls quand nous nous mobilisons – quand, encore, vous ne nous dissuadez pas de le faire? Est-ce parce que vous pensez que ce combat doit rester le nôtre? Nous ne sommes pas en position de force pour nous mobiliser, nous n’avons ni votre statut ni votre organisation, et quand nous les aurons, quand nous aurons véritablement pris la mesure de la catastrophe en cours, il sera bien trop tard.

« Vous ne pouvez pas faire comme si la crise climatique était un problème qu’il nous appartiendra de régler, parce que ce "problème" doit être réglé bien avant d’advenir. Si nous dépassons le point de bascule, aucune politique de réduction des émissions ne permettra d’inverser la tendance.

« Ne croyez-vous pas, dès lors, que vous avez la responsabilité, sinon de prendre la tête de notre mouvement pour le climat, au moins de vous y engager avec la même urgence et la même force que celle dont vous faites preuve contre la réforme des retraites? Le rythme actuel des émissions de gaz à effet de serre condamne notre génération à vivre dans un enfer climatique: pourquoi ne déployez-vous pas cette formidable énergie là où elle est littéralement vitale? Pourquoi ne faites-vous pas massivement grève pour le climat?

« Vos élèves, qui auront à peine plus de 40 ans au milieu du siècle. »

mégafeux

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