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24 décembre 2023

« Extrême droite et crise écologique »

On a pompé ça dans le journal.

L’adoption de la loi "immigration" et l’entrée prochaine de la "préférence nationale" dans le droit français forment, ces jours-ci, la manifestation la plus spectaculaire de l’extrême-droitisation de la vie publique – il ne devrait pas être interdit de parler de fascisation, tant les signaux d’alerte s’accumulent. Sur la question migratoire, la droite de gouvernement semble ainsi être devenue pleinement compatible avec la droite extrême, et la contagion se propage désormais à la droite libérale, incarnée par la majorité présidentielle.

[« L’extrême droite et la crise écologique, deux portions d’un même cercle vicieux. » Ça vous intrigue, chers lecteurs ? L’excellent Stéphane Foucart, dans sa dernière chronique, nous donne des pistes. Ça vous empêche de dormir ? Alors que l’extrême droite (quasi pléonasme) est en train de dérober les clés, une pièce après l'autre, de la maison Europe ? Il fallait y penser avant. Bonne soirée.]

Le nationalisme identitaire est la partie saillante de l’agenda idéologique du Rassemblement national (RN) et de Reconquête !, mais l’extrême droite parvient aussi, depuis quelques années, à entraîner avec elle tout le camp conservateur dans une dérive populiste sur la question environnementale, alimentée par le simplisme et la démagogie, le déni et, enfin, l’inaction. C’est l’autre grande victoire idéologique, plus discrète, de l’ultradroite.

On le voit à toutes les échelles, et en particulier au niveau communautaire. Au Parlement de Strasbourg, les droites européennes ont été cornaquées ces deux dernières années par leurs marges extrêmes pour torpiller plusieurs des textes-clés du Pacte vert. En France, comme l’ont montré les enquêtes de Clément Guillou dans Le Monde, le RN s’est forgé, sur les questions environnementales, une doctrine réduite à un mélange d’agrarisme (car "la terre ne ment pas") et de localisme ("consommer local" relève d’une préférence nationale). Le tout teinté de climatoscepticisme, de techno-solutionnisme et de complaisance vis-à-vis des pollueurs de tout poil – pour peu qu’ils soient enracinés dans les territoires. Les mêmes tendances semblent à l’œuvre ailleurs en Europe.

Comme sur la question migratoire, la droite française s’est acculturée à cette rhétorique. Que l’on songe à l’ancien président Nicolas Sarkozy, artisan, en 2008, du Grenelle de l’environnement, devenu climatosceptique patenté dès 2016 – il n’a cessé, depuis, de mettre en doute la réalité des causes anthropiques du changement climatique. L’hostilité aux politiques environnementales était un marqueur fort des droites extrêmes, elle devient un nouvel étendard pour l’ensemble de la droite. Les exemples sont innombrables, et la posture du président (Les Républicains) d’Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, affichant fièrement sa volonté de ne pas mettre en œuvre le dispositif zéro artificialisation nette dans sa région tient lieu, à elle seule, de synthèse.

Non seulement les droites ne souhaitent pas agir sur le front du réchauffement, des pollutions ou de l’écroulement de la biodiversité, mais les politiques qu’elles souhaitent promouvoir ne permettent ni l’adaptation ni la résilience des sociétés face à ces menaces. Il ne s’agit pas ici d’un jugement de valeur, mais d’une simple paraphrase, celle de la synthèse, effectuée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), des connaissances acquises par les sciences humaines et sociales sur le sujet. "La vulnérabilité [face au réchauffement] est exacerbée par les inégalités et la marginalisation liées au genre, à l’appartenance ethnique, aux faibles revenus ou à une combinaison de ces facteurs", lit-on dans le dernier rapport du GIEC. Cohésion sociale, inclusivité et lutte contre les inégalités économiques: ce n’est pas exactement ce que promet la fusion en cours des droites françaises.

Au reste, pourquoi agir ? La montée en puissance de l’extrême droite est le meilleur carburant à la crise environnementale, et la crise environnementale a toutes les chances, en retour, de nourrir l’adhésion aux idées de Marine Le Pen, d’Eric Zemmour ou de Vincent Bolloré. L’extrême droite et la crise écologique ont tout pour être les deux portions d’un même cercle vicieux. Car ce que le débat public a bien du mal à rendre accessible à l’opinion est que la "crise écologique" n’est pas qu’une abstraction: c’est du malheur et de l’adversité saupoudrés sur la société.

Ce sont des inondations qui n’en finissent pas, dopées par les précipitations extrêmes, l’artificialisation des sols, la simplification des paysages et l’imperméabilisation des terres arables; ce sont les récoltes détruites par les orages de grêle ou des cheptels perdus dans les sécheresses; c’est l’exacerbation de maladies chroniques et débilitantes. C’est, en bref, tout ce qui éprouve le corps social, qui nourrit les sentiments d’injustice et d’abandon, alimente la colère muette et le ressentiment…

C’est ce que l’historien Pierre Rosanvallon a appelé dans un ouvrage récent les "épreuves de la vie" (Les Épreuves de la vie. Comprendre autrement les Français, Seuil, 2021), et dont il propose de faire une nouvelle grille d’analyse de la vie sociale et politique. Les ressorts du vote lepéniste sont bien sûr nombreux et complexes, mais il est fort probable que la crise écologique, par l’adversité et le malheur qu’elle distribue dans la société, en forme une part non négligeable, et destinée à grandir.

L’adversité et le malheur rendent-ils réellement plus perméable à la rhétorique des droites extrêmes ? Une étude de chercheurs français conduits par Jean-David Zeitoun (centre d’épidémiologie clinique de l’Hôtel-Dieu, à Paris), publiée en 2019 dans la revue BMC Public Health, en offre un indice frappant. Les auteurs cherchaient des déterminants locaux du vote pour Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017: même après avoir corrigé l’analyse des inégalités socio-économiques, la prévalence sur un territoire du diabète de type 2, de maladies chroniques sévères et un taux élevé de mortalité étaient, écrivent-ils, "les plus forts déterminants du vote pour Marine Le Pen".

Stéphane Foucart, Le Monde, 24/12/2023.

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