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le vieux monde qui n'en finit pas
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20 octobre 2023

Cauchemar contre cauchemar, par Sélim Nassib

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« Savoir qui au juste a provoqué l’explosion de l’hôpital de Gaza n’a soudain guère plus d’importance, deux narratifs contradictoires se déroulent désormais en parallèle, au mépris des faits, et enflamment les foules. A la guerre sur le terrain s’en superpose ainsi une autre, celle de deux systèmes de représentation dont l’antagonisme aggrave un peu plus la menace d’un embrasement général. Dans l’imaginaire, deux camps hostiles se solidifient l’un face à l’autre: Israël soutenus par l’Occident d’une part; le monde arabe soudé autour de la cause palestinienne de l’autre – sans parler de la montée de l’antisémitisme et de de l’islamophobie partout ailleurs. Les hommes du Hamas qui ont franchi la frontière réputée infranchissable ne pouvaient espérer meilleur résultat.
Au premier jour, on aurait pu croire qu’ils poursuivaient un objectif politique précis, dynamiter l’accord en gestation entre Israël et l’Arabie saoudite, accord qui allait de toute évidence conduire à une paix séparée excluant les Palestiniens. Mais les massacres dont ils se sont tout de suite rendus coupables ont montré qu’ils cherchaient bien autre chose. Pour eux, il n’était pas simplement question de politique mais de rendre toute paix impossible en provoquant un déchaînement viscéral des ressentiments et des désirs de vengeance qui couvent depuis plus de cent ans dans cette malheureuse région. Ouvrant le feu sans discrimination sur des jeunes plutôt pacifistes qui faisaient la fête, sur les habitants des kibboutz plutôt de gauche, sur les civils de la région la plus misérable d’Israël, provoquant un carnage indifférencié parmi hommes, femmes, enfants et bébés, le Hamas a montré son véritable visage et réveillé l’un des pires cauchemar de la mémoire juive, les pogroms de Russie et d’Europe centrale, ceux-là précisément qui ont servi à justifier la création d’un État où les juifs pourraient vivre en sécurité. Ce faisant, le Hamas a envoyé implicitement un message subliminal à Israël: "Nous voulons votre mort à tous".
Et le piège si bien tendu s’est refermé sur le monde entier. Ivre d’humiliation et de colère, le gouvernement incompétent de Benjamin Netanyahu a abattu sur les malheureux Gazaoui les feux de l’enfer, un cataclysme destiné en principe à annihiler le Hamas mais qui, de fait, a détruit villes et villages sur la tête de leurs habitants. On se croirait dans l’un de ces passages de la Bible où la colère de Dieu s’abat sur les ennemis d’Israël. Ceux qui meurent par milliers sous les bombes ne sont plus des êtres humains mais des "animaux" à qui il devient légitime de couper eau, électricité, pétrole et nourriture. Les immeubles, les écoles et les mosquées ne sont plus des lieux d’habitation, d’étude ou de prière mais des repaires dans lesquels les terroristes se cachent lâchement parmi les civils. Puis est venu l’ordre israélien d’évacuer la moitié de la population de Gaza vers le Sud du territoire.
Or les images des centaines de milliers de Palestiniens marchant sur les routes traînant derrière eux leurs enfants terrorisés, avec sur le dos matelas, ustensiles de cuisine et valises mal fagotées ont réveillé le spectre de la grande expulsion de 1948, la Nakba comme ils disent. La seule différence est que les images d’alors étaient en noir et blanc… Le désolant spectacle a montré aux yeux de tous, en particulier dans le monde arabe, que ceux qui payent le prix de la folie meurtrière provoquée par le Hamas ne sont pas les dirigeants de ce mouvement islamiste mais les malheureux qui fuient, fuient toujours plus loin, jusqu’à se heurter aux murs fermés de la bande de Gaza, leur prison. De peuple à peuple, Israël leur a lui aussi envoyé un message subliminal: "Nous ne voulons pas vous voir sur cette terre, nous voulons vous expulser tous !"
Fantasme contre fantasme, cauchemar contre cauchemar, nous sommes revenus au ground zéro du conflit israélo-palestinien.
Pourtant, peut-être, il faut se souvenir que c’est dans les moments de très grand choc, quand le fer est chauffé à blanc qu’on peut le battre. L’ébranlement généralisé provoqué par la guerre oblige tout le monde à réfléchir. Les pays arabes dans la mouvance de l’Arabie saoudite se sont montrés prêts à faire la paix avec Israël – même au prix du sacrifice de la cause palestinienne. Le 7 octobre leur ayant fait comprendre que c’était impossible, ils n’ont plus d’autre choix que d’inclure les Palestiniens dans la boucle – pourvu que les Israéliens l’acceptent aussi. Mais Netanyahu et ses alliés d’extrême droite, pourtant vomis par une grande partie de leur peuple, ne seront jamais prêts à un changement stratégique aussi contraire à leur politique. Leur main tremble, mais ils pensent toujours à envahir la bande de Gaza pour laver l’affront qu’ils ont subi, ce qui a toutes les chances de provoquer un cataclysme régional, des milliers de morts et des souffrances sans fin de part et d’autre. La haine engendrant la haine, ce sera une victoire au long cours pour le Hamas, ses alliés et ses protecteurs iraniens. Malheur pour tous en quelque sorte.
Il faut également se souvenir que si les massacre de civils ont endeuillé les deux côtés depuis le début des hostilités, l’oppression permanente, trois cent soixante cinq jours par an, touche le seul peuple palestinien. C’est cette oppression qui a été mise à profit par le Hamas pour promouvoir une stratégie ayant plus à voir avec l’extension de l’islamisme ("l’Islam est la voie !") qu’avec la défense des Palestiniens.
Mais qu’on le veuille ou non, le statu quo mortifère est aujourd’hui rompu, et chacun est obligé de choisir. Car pour qu’une paix juste et durable s’établisse enfin, il faudra que les uns renoncent à la destruction de l’"entité sioniste", les autres à l’occupation sans fin. Mais qui aura cette sagesse, cette intelligence, ce courage ? Les dirigeants de l’Amérique, de l’Europe et de la région elle-même semblent bien petits. Même acculés, les Israéliens argueront toujours qu’il n’existe pas d’interlocuteur crédible dans le camp d’en face – mais ce n’est pas vrai. Il y a par exemple Marwan Barghouti, un homme regardé par une grande partie de son peuple comme le Mandela palestinien, qui croupit depuis plus de vingt ans dans une prison israélienne. Avant son incarcération, il déclarait en 2002 au Washington Post qu’avec la fin de l’occupation, "la route sera tracée clairement: les voisins indépendants et égaux d’Israël et de Palestine pourront négocier un avenir pacifique en tissant des liens étroits, tant économiques que culturels."
Un rêve ? Mais ceux qui croient qu’Israël peut être effacé de la carte, ceux qui croient que les Palestiniens peuvent être occupés pour toujours, enfermés pour toujours, rêvent plus encore. Mais leur rêve est un cauchemar, notre cauchemar à tous. »
[Sélim Nassib, Libé ea]
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Commentaires
L
Enfin un article tout en nuances et qui échappe à la pensée binaire qu'on tend à nous imposer. Merci Sélim, merci JC de l'avoir relayé. J'invite les lecteurs de SAV à réfléchir aussi à ces questions avec l'aide du cinéma. Les films de Simone Bitton ("Mur"), Michel Khleifi ("la Mémoire fertile"), Eyal Sivan, Elia Suleiman ou Avi Mograbi existent en DVD.
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B
Merci !<br /> <br /> On ne peut mieux dire.<br /> <br /> Blaireau 58
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